Les souris n’ont toujours pas mangé les chats

Trop sûrs d’eux, les Espagnols rédigèrent un petit mot trempé dans le vinaigre à l’adresse de ceux qui voudraient le lire et plus particulièrement les troupes françaises: « Quand les Français prendront Arras, ironisèrent-ils ainsi, les souris mangeront les chats. » Le 13 juin 1640 pourtant, l’affaire était pliée, huit ans avant la fin de la Guerre de Trente ans. Ce qui fait que les vainqueurs écrivirent en retour une réponse moqueuse qui disait: « Les Français ont pris Arras et les souris n’ont point mangé les chats. » Tout cela se situant dans la première moitié du 17e siècle, le Nord de la France et des Pays-Bas étaient alors terres espagnoles. Louis XIII et Richelieu régnaient, l’un pour de vrai l’autre par délégation, mais chacun d’eux le sens du territoire chevillé au corps. Et les deux belles places d’Arras étaient déjà là avec dessous un réseau souterrain à tout faire -Les Boves- , en temps de paix comme en temps de guerre. De cette affaire de siège d’Arras, actuel chef lieu du Pas-de-Calais, il est resté une estampe d’époque (ci-dessus) bien connue des spécialistes, et dont la banderole peut encore servir, y compris dans les affaires publiques ou nos aventures domestiques.

Sans entrer dans les détails de cette bataille où la ruse le disputa à la force, on se souviendra, comme le souligne L’observatoire de l’Avesnois, l’une des plus anciennes publications françaises, que parmi les belligérants figurait le vrai Cyrano de Bergerac (1), incidemment blessé à la gorge durant le siège de la ville. On y apprend que Savinien de Cyrano (1619-1655), n’était pas du tout du Périgord et que s’il avait ajouté « Bergerac » à son patronyme c’était en référence à un terrain que sa famille possédait dans la vallée de Chevreuse, en banlieue parisienne. La présence de sa statue à Bergerac n’est donc pas justifiée. Et qu’en plus, cet homme dont Edmond Rostand fit le protagoniste d’une pièce portant son nom, était aussi un écrivain, noceur et un peu libertin sur les bords, avant d’être un des guerriers à l’assaut d’Arras.

Comme les deux places de cette sage préfecture (où l’on assassina pourtant un professeur de lycée en octobre 2023) comptent pour beaucoup dans la notoriété locale, il n’est pas étonnant par ailleurs que la Vierge Marie en personne y fit une apparition devant deux ménestrels éberlués. Une plaque est là pour le rappeler. Les apparitions de la Vierge sont toujours bonnes à prendre, l’avantage dans ce type d’aubaine étant qu’il suffit d’y croire. La science efface cependant les miracles et c’est pour cela qu’il est bien de s’en laisser accroire de temps à autre. C’est parfait pour le métabolisme et singulièrement pour le transit nous assure-t-on du côté de la faculté de pharmacie, toujours bienveillante.

En 1105, au moment de la descente mariale sur Arras, sévissait le mal des ardents, dû à un champignon présent dans la farine. Son ingestion provoquait au mieux des brûlures d’estomac mais cela pouvait aller jusqu’à des hallucinations, vu que l’on sut bien plus tard, au 20e siècle, que l’ergot de seigle en question contenait la base d’un puissant hallucinogène que l’on baptisera le LSD. Dès lors trois possibilités, la première étant que la Vierge apparut à Norman de Saint-Pol-sur-Ternoise et Itier de Tirlemont dans le Brabant, dans l’objectif qu’ils sauvassent le peuple empoisonné, en leur faisant boire de l’eau additionnée de la cire d’un cierge sacré. Il s’agit si l’on peut dire, de la version officielle. L’autre étant qu’eux-mêmes atteints du mal des ardents, hallucinations aidant, ils confondissent la serveuse du bistrot où ils venaient de se produire avec la Madone, sans compter quelques tournées propitiatoires à base de bière du Nord. On a cru voir des choses encore plus bizarres avec moins que ça. La troisième justification d’une visite de la Vierge, c’est le prétexte navrant, l’excuse suprême pour arranger une faute, un retard, une tromperie auprès du patron des ménestrels ou de l’épouse de chacun d’eux. Plus c’est gros mieux ça passe du moins c’est que l’on dit. Et comme tout le monde était un peu sujet aux troubles visuels en cette année 1105, le millésime fut miraculeux pour résoudre maints problèmes avec des alibis hautement fantaisistes. De l’apparition du monstre du Loch Ness à la rencontre fortuite d’un extra-terrestre au retour du Franprix en passant par le contrôle fiscal inopiné, les bobards les plus désespérés ont toujours été tentés, pour sauver la face ou faire diversion.

Mais ce n’est pas demain que l’on nous fera croire que les souris mangeront les chats, même les enfants ne se laisseraient pas berner.

PHB

(1) L’article de l’Observateur de l’Avesnois

 

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