Rendez-vous chez Paul Delvaux

Quelques semaines avant l’ouverture  « officielle » de l’année du surréalisme (centième anniversaire de la parution du Manifeste du Surréalisme d’André Breton, 1924), la BRAFA de Bruxelles avait rendu hommage au peintre belge Paul Delvaux, disparu il y a trente ans, et souvent considéré comme l’une des figures les plus importantes de ce mouvement. La BRAFA (Brussel Arts Fair) compte parmi les grandes manifestations d’art européennes. La soixante-neuvième édition, présentant 32 galeries provenant de 14 pays, avait réuni 67.000 visiteurs dans la capitale belge, à quelques encablures de l’Atomium. La Fondation Paul Delvaux, créée du vivant même du peintre, en avait été l’invitée d’honneur.

Après avoir découvert la scénographie qui reprenait habilement les décors et les personnages si caractéristiques de l’artiste belge (photo), il était tentant de retrouver in situ ce monde étrange, ni proprement expressionniste ni vraiment surréaliste -ou alors les deux à la fois. Rendez-vous donc sur la côte belge à la fondation-musée dans une ancienne maison de pêcheur au charme indéniable, située dans un quartier de pavillons proprets, dans la petite ville de Saint-Idesbald, à une quarantaine de kilomètres au sud d’Ostende .
Ce musée avait été voulu dès 1979 par le peintre alors âgé de 83 ans. Né en Wallonie près de Liège, l’artiste avait adopté la Flandre maritime où il s’était fait quelques bons amis, en particulier le grand sculpteur Georges Grard, malheureusement peu connu en dehors des frontières de son pays. Delvaux, en revanche, était parvenu, sans l’avoir vraiment cherché, à une notoriété internationale.

On connaît son histoire, finalement assez banale: milieu aisé, éducation classique, vocation contrariée par les parents, études aux Beaux-Arts de Bruxelles, influences diverses, notamment des expressionnistes belges comme Constant Permeke et James Ensor: le peintre se cherche. La découverte d’une toile de Chirico datant de 1914 est une révélation. Le titre de ce tableau, l’un des plus célèbres de l’artiste gréco-italien, pourrait résumer le style qui deviendra le sien:  « Mystère et Mélancolie d’une rue ». Le peintre s’illustrera alors avec des thèmes récurrents qui le rendront immédiatement reconnaissable: la femme, l’univers des gares et des trains, les décors antiques, les squelettes, le tout baignant dans une atmosphère onirique très particulière.

L’entrée au musée plonge assez vite le visiteur dans cet univers. L’extérieur du bâtiment ne laisse pas deviner les dimensions des salles d’exposition, situées en sous-sol sur près de 1.000 m2. Il est vrai que la collection est riche de plus de 3.000 œuvres et d’un impressionnant fonds d’archives, sans compter les objets personnels de l’artiste. Cela permet aux responsables de renouveler régulièrement le thème des expositions. La dernière en date, ouverte depuis le 30 mars, réunit environ quatre cents pièces sous le thème « Paul Delvaux, décors et corps, parfait accord ». Un titre assez passe-partout, qui, outre des toiles figuratives de la première époque, autorise l’accrochage d’œuvres emblématiques, celles-là même pour lesquelles le public se déplace.

C’est assis sur une authentique banquette en bois d’un vieux wagon de seconde classe que l’on pourra contempler l’une de ces anciennes gares avec ses locomotives qui ont toujours fait les délices de Delvaux (« La gare forestière », 1960). Il aurait été décevant de ne pas retrouver ces corps nus de femmes impassibles, comme dépourvues de toute vie réelle, au regard absent. Plusieurs tableaux nous introduisent dans ce monde dont le mystère n’empêche pas cependant une certaine familiarité. Peut-être parce que Delvaux ne cherche pas autre chose qu’à « réinventer le réel ». Le nom de Delvaux a certes été associé au surréalisme, mais le peintre n’a jamais réellement adhéré au mouvement. Les mots de nostalgie, mélancolie, rêverie, conviennent mieux à sa peinture qui n’est jamais réellement subversive, à l’inverse de celle de Magritte. La qualification de « réalisme magique » (expression du critique allemand Franz Roh) lui conviendrait tout aussi bien.

Si l’on veut pénétrer plus avant dans ce surréalisme qui a aujourd’hui cent ans, c’est à Bruxelles qu’on se rendra en priorité. Deux expositions viennent d’y être ouvertes, l’une sur le surréalisme belge (« Histoire de ne pas rire » à Bozar jusqu’au 16 juin), l’autre sur le mouvement dans les différents pays européens (« Imagine », au musée royal des Beaux Arts, jusqu’au 21 juillet, puis à Paris, Hambourg, Madrid, et Philadelphie).
Si, dans ces deux expositions, Magritte occupe le haut du pavé, les œuvres de Delvaux sont bien présentes et apportent une autre vision, plus familière et plus humaine, d’un mouvement dont les traces sont encore bien visibles en Belgique

Gérard Goutierre

Av. Paul Delvauxlaan, 42
8670 St Idesbald- Koksijde
Belgique www.delvauxmuseum.be
Photo (1): Cop. C. Lefebvre-Woussen Photo (2) G.Goutierre
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2 réponses à Rendez-vous chez Paul Delvaux

  1. anne chantal dit :

    Merci pour cette ouverture inattendue sur Delvaux, qui me semblait un peu parti aux oubliettes …

  2. Frédéric MAUREL dit :

    Il y a une poignée d’années, nous nous sommes rendus (mon époux récemment disparu et moi-même) à Ostende pour ce qu’elle charrie de nostalgie et y déguster un menu homard mémorable puis, le lendemain, par le tramway qui longe la plage pendant presque une heure, dans cette maison qui effectivement ne paie pas de mine vue de l’extérieur.
    Cette mise en situation et l’amas de tableaux (dont quelques-uns emblématiques de Delvaux) nous a fort ému, y compris les créations des dernières semaines avant sa mort qui, flous et dédoublés sur une toile presque blanche, n’en étaient que plus déchirants.
    Bref, c’est vraiment une maison à voir en prenant son temps (2 ou 3 heures) ; de toutes façons, il n’y a rien d’autre à faire dans ce hameau perdu !
    FML

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