La vocation comme pouvoir artistique

Il y a tout juste 50 ans, le label RCA publiait « Rock and Roll animal », un disque du compositeur et interprète américain Lou Reed (1942-2013). Et il se trouve que sur cet album live où deux guitaristes électrocutaient les auditeurs de riffs croisés, l’auteur évoquait sa vocation à travers les lignes d’une chanson intitulée tout simplement « Rock and Roll ». Un texte qui raconte deux histoires équivalentes. L’une fait allusion à l’une de ses amies d’enfance qui vit sa vie changée par la découverte à la radio, de musique rock. Et Lou Reed a indiqué que cette chanson parlait aussi de lui. Que celui qui était encore un jeune homme tyrannisé par les soins psychiatriques en raison de son homosexualité et désappointé par le décor d’une société qui ne lui correspondait pas, entendit également du rock à la radio. Sans cela, « il n’aurait pas su qu’il y avait de la vie sur (la) planète ». Un appel d’air qui en fit l’un des artistes pop les plus marquants du 20e siècle. Malraux avait dit, non pas à propos de Lou Reed (pas exactement sa tasse de thé, le pauvre), mais à propos de la vocation artistique, qu’elle ne « naissait pas de l’émotion éprouvée devant un spectacle, mais devant un pouvoir ».

C’était très juste à ceci près que le spectacle, une pièce de théâtre, un opéra, un concert de rock, expriment aussi un pouvoir susceptible de déclencher une vocation. Ou de la briser mais c’est plus rare. Là où Malraux ne se trompe pas en revanche, c’est bien sur le mot « pouvoir ». Celui qui fait prendre conscience qu’un univers existe où il est possible de s’épanouir et d’opter pour une direction gratifiante. Un autre grand guitariste de rock, Brian May (1947-) a eu ainsi une destinée étonnante parce que scindée entre deux vocations. En effet, avant de devenir un guitar hero, il était plutôt parti pour devenir astrophysicien. Ayant choisi la scène rock, il oublia dans un coin sa thèse écrite en 1974 sur les vitesses radiales dans les poussières zodiacales, avant de connaître une vie de star plutôt méritée. Mais en 2007, il n’oublia pas de la soutenir et obtint tardivement son doctorat d’astrophysique. Un début de divergence se transformant en convergence les années passant, voilà en quelque sorte un phénomène bien peu courant qu’il faudrait mettre en équation mais ce n’est pas encore fait.

Les points de départ ne sont pas toujours identifiés avec toute la netteté souhaitable. Ce n’est que bien plus tard, la vie entamée au point que l’on peut déjà regarder un bout de chemin parcouru, que ce genre de choses apparaît. Lorsqu’à huit ans, en 1902, Jacques-Henri Lartigue se vit offrir par son père un appareil photo à bouchon, il ne se doutait probablement pas que ses premiers pas dans ce domaine allaient le conduire à une vie plutôt élégante et chic, entouré de jolies femmes et que d’autre part, Giscard d’Estaing l’appellerait un jour de l’Élysée afin qu’il vienne faire la photo officielle de l’homme fringant, fraîchement élu président. Comme beaucoup de petits garçons, Lartigue avait eu des voitures miniatures en cadeau mais c’est l’appareil photo qui finalement orienta toute sa vie.

Et puis il y a les conjonctions, les actes déterminants, l’inspiration, l’audace. Lorsque Philippe Soupault (1897-1990) adresse en 1917 son poème « Départ » à Apollinaire, celui-ci l’expédie à son ami Pierre-Albert Birot qui le publie aussi sec dans la revue SIC (et non pas l’inverse). Ainsi que le rappelle Myriam Boucharenc dans le dictionnaire Apollinaire (éditions Honoré Champion), Soupault alors, n’en « croit pas ses yeux », et entrera « dans le domaine quasi-stellaire de la poésie » commenta-t-il sous sa propre plume.

La vocation c’est aussi l’histoire des livres bourrés d’énergie contenue, du fameux « pouvoir » signalé par Malraux, le livre que l’on saisit par désœuvrement ou instinct sur les rayons d’une banale bibliothèque municipale, celui dans lequel on shoote en explorant fort opportunément un grenier à la recherche d’un quelconque trésor, voire de quelques vers soufflés à l’oreille par un copain de classe, peut-être aussi d’un instituteur à qui on dira bien plus tard qu’on lui doit tout comme ce fut le cas d’Albert Camus l’année de son prix Nobel.

Le mot vocation vient du latin. Il évoque l’appel. Ce pourquoi l’écrivain Georges Bernanos (1888-1948) postulait que sur point « tout appel doit être transmis ». Du moins entendu, afin de transformer quelque chose comme de la matière première en substance brillante, jusqu’au-delà du dernier battement de cœur. Sur ce point Lou Reed, « fan » déclaré d’Apollinaire et de ses calligrammes par ailleurs, n’avait pas loupé l’appel de la providence en ouvrant la radio.

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2 réponses à La vocation comme pouvoir artistique

  1. MARTIN JEAN-LOUP dit :

    Merci pour cet article – passionnant comme tous (ou presque tous) ceux qui sont publiés par cette belle revue.
    Toutefois, n’avez-vous pas confondu Georges Bernanos (1888-1948) et son fils Michel Bernanos (1923-1964) ? Georges est le plus connu des deux : il a écrit notamment Le Journal d’un curé de campagne. Michel a écrit notamment un superbe roman fantastique, La Montagne morte de la vie.
    Amicalement.

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