Situations rocambolesques et quiproquos, avec courses-poursuites, portes qui claquent et amant dans le placard, sont la marque des meilleurs vaudevilles. Labiche et Feydeau ne s’y étaient pas trompés. Avec “Mondial Placard”, à l’affiche du Théâtre Tristan Bernard, à Paris, Côme de Bellescize imagine un vaudeville d’aujourd’hui dans le monde de l’entreprise. De placard, il y est question à plus d’un titre puisque l’entreprise ici en a fait sa spécialité. Mais on y parle avant tout d’égalité hommes-femmes, de lutte des sexes et même d’intelligence artificielle. Si le ton est à la pure comédie, le trait est à peine forcé, prouvant que le rire est sans doute le meilleur moyen pour soulever les questions qui agitent notre époque. Drôlement intelligent !
Lorsque Marion est nommée directrice des ventes de Mondial Placard, Laurent qui brigue ce poste depuis trois ans est convaincu qu’il est victime de discrimination. Pour être dans l’air du temps, il est désormais de bon ton, selon lui, de confier des postes à responsabilités à des femmes. La vie de la gent féminine en entreprise est d’ailleurs, à ses yeux, beaucoup plus facile. Il décide alors de se travestir en femme. Déguisée en Laurence, il aura enfin toutes ses chances… De son côté, Marion, malgré ses compétences, a du mal à s’imposer. Pascal, le directeur des achats, macho dans l’âme, la voit d’un mauvais œil à ce poste et n’hésite pas à lui mettre des bâtons dans les roues, s’appropriant les gros dossiers afin soi-disant de la “ménager”. Devant le sexisme dont elle est victime et les prises de bec incessantes, Marion commence à flancher. Éric, le PDG qui l’a nommée et la soutient, lui propose alors de se travestir en homme. Marion prend un congé parental et revient en Alexandre, un nouveau venu qu’Éric aurait recruté dans l’urgence…
Pour sa part, Laurent/Laurence découvre que, contrairement à ce qu’il imaginait, la vie d’une femme dans l’entreprise n’est pas forcément rose. Si Pascal, sous le charme de cette blonde pulpeuse, a tout d’abord accueilli sa venue avec enthousiasme, il se montre de plus en plus entreprenant. Et lorsqu’au bout de quinze jours, Laurence demande une promotion, c’est une “promotion canapé” qui lui est proposée. Devant son refus, le directeur des achats la mettra au placard (c’est le cas de le dire), enfin, plus concrètement, au standard, à gérer les appels et les colis, tout en continuant à la harceler sexuellement. Quant à Marion/Alexandre, si elle se sent désormais légitime et apprécie d’être acceptée en tant qu’homme, elle est tout de même obligée de jouer les gros bourrins pour s’entendre avec Pascal.
Pendant ce temps, Quentin, ingénieur R&D, travaille à la conception de nouveaux placards. Lors d’une réunion d’équipe, il présente un prototype de “placard intelligent”. Or, lorsqu’il s’adresse à l’armoire et lui pose la question “Martha, où sont mes chaussettes rouges et vertes ?”, ce n’est pas tant la performance du meuble qui inquiète les femmes de l’entreprise, mais le fait que celui-ci ait une voix et un prénom féminins. Une connotation sexiste qui entraînera de nouveaux débats aussi fournis que houleux… Car le placard tient ici un rôle central: il ne permet pas seulement au salarié de se cacher, mais continue d’évoluer pendant que tout le monde se crêpe le chignon. C’est le propre de l’Intelligence Artificielle de se développer en permanence. Et ce que l’on aurait pu penser n’être qu’un meuble de rangement perfectionné se montrera étonnamment performant. Mais n’en disons pas plus car la chute est admirable !
Si situations et quiproquos nous offrent des scènes hilarantes, le divertissement est ici diablement intelligent. Comme chez Marivaux, le travestissement permet de mettre au jour des vérités et d’aborder les sujets qui nous préoccupent: l’égalité hommes-femmes, la lutte des sexes, l’intelligence artificielle, mais aussi l’écart entre les générations avec l’avant et l’après #MeToo, le harcèlement (sexuel, mais aussi moral) … Notre société va mal et la vie en entreprise en est un brillant exemple. Comment faire face aux injustices et discriminations en tout genre ? La valeur objective est-elle un mythe ?
Le discours passe à travers de très beaux personnages: Léa, la jeune stagiaire, militante féministe post #MeToo, qui réagit à chaque remarque au quart de tour et s’insurge en permanence; Pascal, le gros machiste période Sautet qui prend le harcèlement pour de la galanterie et ne voit pas où est le mal; Karine, l’assistante de direction fleur bleue qui croit au prince charmant … Les comédiennes et comédiens, tous excellents, apportent sensibilité et émotion à leurs personnages, dépassant le stade de la caricature, pour les rendre attachants. Même Pascal, cas apparemment désespéré, attire notre empathie par son aveuglement. Il n’est pas réellement méchant et on se dit qu’avec un peu d’éducation, il pourrait être sauvé.
Un dernier mot sur la mise en scène, très enlevée, et la scénographie, judicieuse, avec placard super intelligent et big boss, comme il se doit, dans les hautes sphères. Bravo !
Isabelle Fauvel
Le commentaire ci-dessus ressemble comme deux gouttes d’eau à une arnaque…
Je n’arrive pas à tous les filtrer, 50 par jour en moyenne, merci bcp de me l’avoir signalé. PHB