Incontournable blanquette

La blanquette de veau figure au répertoire culinaire français, en compagnie du bœuf bourguignon, du pot au feu, du navarin d’agneau, du petit salé aux lentilles, du civet de lièvre…… Elle est souvent dénommée «à l’ancienne», sur la carte des brasseries ou de certains restaurants, afin de conforter dans leurs certitudes les tenants de la tradition.
Au risque de les décevoir, le mode de préparation actuel du plat n’a que peu à voir avec la recette initiale, excepté son apparence. Une recette dénommée blanquette figure, pour la première fois, dans «Le cuisinier moderne», traité publié en 1735 par Vincent La Chapelle, à cette époque au service de madame de Pompadour. L’auteur y fait état d’une manière d’accommoder un restant de rôt. Cette pièce de viande, par conséquent déjà cuite, est coupée en tranches minces, mises à revenir (c’est-à-dire dorée au beurre dans une poêle). Celles ci sont ensuite recouvertes d’une sauce blanche, et servies en entrée, sans accompagnement. De cette couleur de la préparation, certains ont tiré l’origine de son appellation, du provençal blanqueto, diminutif de blanco. Mais d’autres se sont souvenu du passage de La Chapelle chez le comte de Chesterfield. Le traité mentionné plus haut a d’abord été rédigé en anglais, sous le titre «The modern cook», en 1733, et la préparation en cause intitulée veal blanquet du mot blanket signifiant couverture.
La recette est postérieurement mentionnée, en 1740, dans le recueil de François Marin, maître d’hôtel du duc de Soubise, intitulé «Les dons de Comus». Il s’agit là du plus important traité culinaire du 18e siècle, collectant plus de 2300 mentions. On y trouve une blanquette de veau, mais également de cochon, de lapereau, de volaille. La plupart des recettes indiquées dans cet ouvrage sont reprises de travaux antérieurs, sans que cela soulève la moindre difficulté. D’une part, parce qu’il faut attendre 1777 et monsieur de Beaumarchais pour voir apparaître les droits d’auteur, de l’autre car, même encore de nos jours, l’œuvre gastronomique ne bénéficie pas d’une protection intellectuelle. Les recettes ne constituent pas, en elles mêmes, une œuvre de l’esprit, mais une succession d’instructions, un simple savoir faire. En la matière, chaque auteur peut s’inspirer de ses prédécesseurs, voire même les recopier.

À la mention « blanquette », le dictionnaire de Trévoux (1752) la définie comme un «mets fort commun chez les bourgeois lorsqu’ils ne sont qu’en famille, car, étant fait de de restes, on ne peut le servir honnêtement à des convives». Élève d’Antonin Carême, qui, lui aussi, y va de sa proposition, Jules Gouffé, cuisinier de Napoléon III, distingue une blanquette «de ménage», et une blanquette «d’apparat», cette dernière ne variant de l’autre qu’en raison de l’ajout d’ingrédients supplémentaires, champignons et oignons grelots.

Avec les «366 menus du baron Bisse, recettes à l’attention des ménages bourgeois» (c’est le titre du bouquin émis en 1868), le veau en blanquette prend la forme actuelle, utilisant des morceaux de poitrine, d’épaule ou de tendrons, que l’on va mettre à blanchir, c’est-à-dire à soumettre à l’action de l’eau salée, avant de les cuire vraiment. Le plat change de statut. De hors-d’œuvre il devient plat principal, aussi dénommé plat de résistance (1) par d’aucuns. La quantité de viande prévue augmente, pour atteindre 250 grammes par convive. En outre, une préparation latérale s’invite dans l’assiette. Le guide culinaire d’Auguste Escoffier (1921) envisage tour à tour cardons, endives, salsifis, ou nouilles fraiches sautées au beurre. L’époque moderne privilégie le riz «à la créole», c’est-à-dire cuit à l’eau.

Lorsque l’on dit veau, une précision s’impose. On privilégiera le «veau sous la mère», gentille bestiole nourrie exclusivement au lait tété au pis deux fois par jour, sacrifiée entre 4 et 6 mois. Ainsi, la chair ne se colorera pas encore d’un rosé hémoglobinémique
mal venu. L’animal offrira une viande tendre, moelleuse, délicate qu’il conviendra de napper de la subtile douceur, discrètement acidulée d’un jet de citron, de la sauce.
En trois clics sur le mulot, il est aisé de trouver l’ordre de travail à suivre pour la cuisson de la viande. Quelques indications relatives à la couverture. Elle commence par un roux blanc, mélange lisse de beurre et de farine (qu’on évitera de laisser blondir à la cuisson), mouillé de bouillon. Un peu de cette sauce chaude est versé dans un bol contenant 3 jaunes d’œufs, 10 cl de crème fleurette et le jus d’un demi citron. L’ensemble est ajouté, avec un tour de moulin à poivre, dans le roux délayé. Le composé ne doit plus bouillir sous peine de floculer. Il nappera la viande au moment du service .

Si l’abondance de crème évoque la Normandie, l’origine de la blanquette n’est pas une province, mais une classe sociale, la bourgeoisie.

Jean-Paul Demarez

(1) Non pas en référence aux maquis de 1940-1944, mais un plat « dont on ne vient pas à bout aisément », selon la définition de l’expression.
Photo: ©PHB
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Une réponse à Incontournable blanquette

  1. Caroline Rives dit :

    Merci pour ce texte savoureux.
    Pour aller plus loin, on peut lire l’ouvrage du regretté Jean-Louis Flandrin, « La blanquette de veau : histoire d’un plat bourgeois », Chez Jean-Paul Rocher éditeur.

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