Guadalajara, les syllabes de ton nom ricochent comme les pierres qui dégringolent tes collines poussiéreuses. Avec environ 5 millions d’habitants, Guadalajara est la deuxième ville du Mexique et la capitale de l’État de Jalisco. État qui sait marier traditions et haute technologie. Guadalajara est en effet le lit de la Silicon Valley mexicaine. Le mexicain Carlos Slim, magnat de Carso, empire prospère de télécommunications, finance et industrie, est l’un des hommes les plus riches du monde. Le Jalisco est aussi la patrie des mariachis (petits orchestres ambulants emblématiques) et de la tequila. Guadalajara, un embrouillamini de styles.
Sur les collines, en périphérie, ça part dans tous les sens. C’est neuf, à peine ébauché et déjà vermoulu. Maisons de guingois inachevées en briques crues et béton brut, mais déjà logis de familles nombreuses. À la place du toit manquant, l’armature du béton, faite de tiges de fer, pointe vers le ciel comme une lance donquichottesque que le temps recouvre de rouille. En contrebas, les bus pétaradent sur l’avenue principale. Les voitures à l’arrêt vocifèrent de ne pas avancer. 8 heures du matin, un bourbier et concert de klaxons monstre. Fumée noire, trafic inhumain. Plus de 5 millions d’habitants, la ville affiche complet, elle n’avait pas prévu ça.
À l’approche du cœur de la ville, on recule dans le temps. La pierre se fait plus aristocratique, les habitations sont plus soignées, plus homogènes. La pauvreté s’estompe. Changement de décor, changement d’humeur. Le centre historique qui porte encore la trace des conquistadors a beaucoup d’allure. Longue promenade piétonne entrecoupée de places animées et bordée de bâtiments en pierre de style colonial. L’imposante cathédrale qui date du 17e siècle écrase la place avec son dôme qui se dresse arrogant. Bien que remaniée à différentes époques, elle en jette. À côté de la cathédrale (image d’ouverture), les arcades ombragées du Palais du gouverneur (18e siècle) bordent des patios fleuris couverts d’azulejos. Le rire cristallin de ses fontaines rafraîchit. Le palais a été le témoin en 1810 de l’abolition de l’esclavage. Il abrite la fresque sociale foisonnante de 400 mètres carrés d’Orozco. Natif du Jalisco, Orozco est contemporain du célèbre muraliste Diego Rivera, le mari de Frieda Kahlo. Les muralistes mexicains, qui ont ouvert la voie à nos graffiteurs urbains, ont sans conteste développé un style spécifique. En contrebas, l’institut Cabanas, fondation culturelle de style néoclassique est inscrite au Patrimoine de l’Unesco. Ses salles ouvrent sur 23 patios de toute beauté et une cinquantaine de fresques monumentales, réalisées par Orozco en 1937, ornent ses murs.
Sur la vaste esplanade piétonne devant l’Institut, l’animation a un goût d’ailleurs. Deux indiennes brodent des tuniques, accroupies à même le sol. Cheveux de jais, peau tannée, yeux en amande, vêtements tissés. Les doigts filent dociles sur l’étoffe colorée. Concentrées, sur leur ouvrage, elles ne lèvent jamais les yeux. Chemises écossaises, Stetson grèges enfoncés sur la tête, grande moustache, des hommes sont assis près d’elles, indolents. Les cireurs s’activent à leurs pieds. La brosse vole d’une main à l’autre jusqu’à ce que les chaussures scintillent. Personne n’est attentif aux vieux mariachis à la recherche d’un contrat qui traînent derrière eux leur violoncelle fatigué (ci-dessous). Ils sentent la fin de carrière. Le sombrero est décati, les ors de la veste ajustée ne brillent plus. Teint hâve, inspiration décrépie, le rythme ne bat plus, la fête n’éclaire plus leur regard.
Chips de maïs colorées tassées dans d’énormes sacs, bonbons acidulés, barbes à papa, sur l’Esplanade du centre historique on peut se restaurer à toute heure auprès des vendeurs ambulants. À moins qu’on ne préfère les petits plats mijotés par les cuisiniers des triporteurs, les food-trucks à la mexicaine. Ou encore les chapulines, les criquets mexicains qui se grillent et se dégustent avec du citron et du sel comme la Margarita. En continuant sa promenade, on va de découverte en découverte… exotique. Boutiques pour charros, où les cow-boys mexicains trouveront Santiags en cuir ou serpent, Stetson et autres chapeaux country, selles, jambières en cuir, lassos, ceintures cloutées, costumes d’apparat pour rodéo, etc. Sur la place Tapatia, le ciel résonne de phrases simples martelées en anglais : «I live in London, I am English»; «I would like to buy a bus ticket»… À l’heure d’internet, un vendeur ambulant y croit encore. Il fait brailler son lecteur de CD pour écluser ses cassettes d’apprentissage de l’anglais.
Plus loin, une caverne d’Ali Baba gigantesque se dresse sur plusieurs étages: l’immense marché San Juan de Dios. Merveilleuse Samaritaine locale, qui propose fruits et légumes, viandes et poissons mais aussi un artisanat local foisonnant et typique. Au dernier étage, de petits restaurants populaires accueillent de joyeuses familles mexicaines. Lorsque les mariachis accompagnent les repas et que tout le monde reprend en cœur les vieux airs connus, on prie le ciel pour que ces traditions perdurent au cœur de la Silicon Valley mexicaine.
Lottie Brickert
La description des scènes de rue nous plonge vraiment dans l’ambiance colorée de cette cité.
J’ai beaucoup aimé, merci pour ce beau moment d’évasion.
Une écriture pleine de rythme et de couleurs. Le Mexique est pour toi Frida Lottie.
Merci pour cette échappée ensoleillée.
merci Lottie, à nouveau une belle invitation au voyage , quasi irrésistible!