Enlacez qui vous voudrez

On sent bien que techniquement, dans l’expression bien galvaudée du « vivre-ensemble », une bonne intention est tapie. Le Larousse l’indique d’ailleurs, quand on utilise ce mot tandem, c’est pour signifier une « cohabitation harmonieuse entre individus ou entre communautés ». Cela relève pourtant de la confusion entre désir et réalité, ce que les Anglais qualifie wishful thinking. Cet élément de langage se retrouve dans presque toutes les communications, essentiellement dans les cénacles politiques. Ce qui ne manque pas de sel dans la mesure où l’entre-soi y est cultivé  avec grand soin à droite comme à gauche et quand on se croise, c’est de préférence avec des pincettes sur le nez. Mais cela touche aussi d’autres domaines où l’on n’hésite pas en France, tout comme à Hollywood, à décerner des trophées du vivre-ensemble avec un clin d’œil en forme de trait d’union. Cette scie linguistique que l’on ne manquera pas avant ou après, de la marquer d’un « du coup » bien senti, est en réalité un bobard massif gainé au tungstène. Et comme il sera bon le jour venu où quelqu’un s’avisera de changer de disque, de changer les couches du mantra, de coller la rengaine dans le tambour de la machine à laver.

Encore que dans ce domaine il y a quelques bons élèves, quelques bons militants et quelques situations où le principe du together va de soi, avec une harmonie aérienne façon Beatles sur Abbey Road. Cela va effectivement et dans l’ordre, de la chorale au club échangiste, en passant par le repas en famille. À cette réserve près qu’il y a tout de même une sélection à l’entrée car on ne peut pas mettre partout un quota représentatif des minorités. Mais enfin l’idée y est et même l’intention, ce sont des occasions où le vivre-ensemble a, pourrait-on dire, ses habitués.

Malheureusement, nombreux sont les terrains où l’on déglutit pour le moins de travers, l’expression en question. Dans le métro aux heures de pointe, où la recommandation des élites (avec chauffeur) revient à dire « enlacez-qui-vous-voudrez ». Surtout les voisins qui vous entourent, que l’on se retient de honnir, même si cela donne l’occasion de honnir ce qui n’est au fond pas si courant. C’est un peu mieux dans les embouteillages, là où au moins, il est possible d’insulter copieusement le monde entier avec des références horribles aux maintes possibilités de l’acte sexuel. Difficile de faire la même chose dans le métro encore que de temps en temps, le tissu craque et les interpellations fleuries fusent, accompagnées de postillons joliment translucides car la poésie est finalement partout. Quant à la prison, le vivre-ensemble (qui est aussi un autre mot pour la promiscuité),  y est une punition officielle.

Et puis il y a les exceptions, celles qui ne confirment pas la règle angélique mais qui la tuent. Pour les Jeux Olympiques par exemple (ça faisait longtemps). Tout le monde y sera en effet bienvenu, sauf les bouquinistes des bords de Seine priés de plier les gaules, les SDF enjoints d’aller se mettre au vert pour ne rien gâcher du spectacle jusqu’aux étudiants du Crous invités à laisser leur piaule au personnel olympique le temps des festivités avec la bénédiction affectueuse du Conseil d’État. Et plus globalement il y aura les Franciliens auxquels on a déjà suggéré de télétravailler ou de partir en vacances afin de de ne pas encombrer les transports en commun et permettre ainsi aux touristes venus exprès, de goûter un succédané de vivre-ensemble à la française. Quant aux élites sportives, happy few et autres politiques, ils pourront savourer le plaisir d’être en pairs, c’est-à-dire ensemble mais sans les indésirables. Il ne reste plus qu’à brûler des cierges pour qu’aucun gêneur ne s’infiltre pas (terroriste ou activiste écologique) mais ce sont les aléas inévitables de ce genre de messe avec hautbois, trompettes et ciel de gala.

Ce n’est jamais simple de vivre en paix à distance de ses contemporains. On se souviendra à ce propos de Charles de Foucauld (1858-1916) qui était parti dans le Sahara algérien à Béni Abbès, afin d’y méditer à son aise. Cela ne lui avait pas complètement réussi. D’abord parce qu’il voulait fonder une congrégation, c’est le réflexe pavlovien du vivre-ensemble (mais personne n’est venu) et ensuite parce qu’il y fut assassiné alors qu’il prenait le frais juste à l’entrée de son gîte. Prouvant que nulle part il est possible d’échapper aux siens, la meute est toujours proche. La relativité du vivre-ensemble se reconnaît à ses toxines.

PHB

Illustration: ©PHB
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3 réponses à Enlacez qui vous voudrez

  1. Gilles Bridier dit :

    Quel punch! Le « bobard massif gainé au tungstène » n’en est que plus percutant quand il vous revient en pleine tronche de façon aussi musclée et décapante! KO, le trop policé dévoyé « vivre ensemble ». Bravo. Mais après ?

  2. jmc dit :

    Cher Philippe, la non-qualification du péquin parisien pour les festivités des J.O. nous laisse froid. Mais ce rappel de la mésaventure de Foucauld dans son vrai-faux désert est bien angoissant. Que faire ? N’y a-t-il pas tout simplement, désormais, trop de monde sur terre ? Trop de tout, et pas assez de vide. Mais aussi comment se réchauffer, lorsque le désir d’ensemble est là, au bienveillant voisinage que l’on tente habituellement de fuir? Le dilemme du hérisson cher à Schopenhauer (et disséqué par Freud) nous assaille. Help, les Beatles!

  3. Daniel Marchesseau dit :

    Bravo une fois de plus ! La question délicate du Vivre ensemble ne justifie-t-elle pas dans votre dernière phrase une consonne négative ?
    « Prouvant que nulle part il N’ est possible d’échapper aux siens, la meute est toujours proche »

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