Cette année encore et plus précisément aujourd’hui vers midi, un hommage sera rendu au Père Lachaise autour de la tombe d’Apollinaire, décédé le 9 novembre 1918. On ne peut pas vraiment dire que la foule sera au rendez-vous, chaque année le petit groupe compte ses membres. La seule échéance manquée depuis 1918, fut à l’époque de la pandémie de Covid 19 et encore, il y eut au moins deux visites clandestines selon la police. Nous profitons en tout cas de cette commémoration amicale pour donner des nouvelles sur le « dossier » des deux bobines, films moins mystérieux désormais, tournés le 9 novembre 1945 en la présence probable de Pablo Picasso, lequel était réputé ne jamais rater le meeting relatif à son ami disparu. C’est en 2019 (1) que Gérard Goutierre, collaborateur des Soirées de Paris, évoqua dans un article la présence d’un «un Américain journaliste en uniforme» lors de la cérémonie d’après-guerre. Il tenait cette information d’un carnet de notes de Pierre-Marcel Adéma (1912-2000), biographe historique d’Apollinaire. Mais le mystère restait entier.
Jusqu’à ce qu’en 2022, une visite du fonds Apollinaire enfin achevé à la Bibliothèque historique de la ville de Paris (BHVP), en compagnie de la directrice Emmanuelle Toulet, nous fit retrouver les deux bobines. Ce qui nous amena à déduire, avec une remarquable perspicacité, que c’étaient les deux bobines en question.
Il ne fallait pas lâcher l’affaire. Ce qui fait qu’en octobre 2023, en début d’après-midi une nouvelle exploration eut lieu avec la directrice adjointe Madame Louise Fauduet, et un conservateur, Patrick Le Bœuf. C’est là qu’un progrès, sur la piste des deux bobines, fut enregistré. D’abord parce qu’à l’évidence et contrairement à ce que nous avions annoncé précédemment il s’agissait d’un format 16 millimètres (et non pas huit). On ne sait pas en revanche s’il s’agit d’une matrice et de sa copie, ou de deux films en continu.
Il est probable que nous en sachions davantage désormais sur l’auteur du film, selon une hypothèse fort crédible avancée par le conservateur de la BHVP. Selon lui « Il pourrait s’agir de Scott Bates (1923-2013), universitaire états-unien qui a publié plusieurs livres sur Apollinaire ainsi que des articles dans Le Flâneur des deux rives (revue d’études apollinarienne ndlr). Il était professeur de littérature française et d’études cinématographiques (University of the South, Sewanee, Tennessee) d’après la notice d’autorité de la BnF. La notice nécrologique que lui a consacrée son Université indique qu’il a fait son service militaire en Europe durant la seconde Guerre mondiale, et qu’il en est revenu en 1946: il a donc très bien pu se trouver à Paris en novembre 1945; et ce en uniforme militaire puisqu’il faisait son service; en tant que futur apollinarien, il a très bien pu saisir l’occasion pour assister à la commémoration; et en tant que futur professeur d’études cinématographiques il devait savoir se servir d’une caméra. Il a en outre été en contact avec Pierre-Marcel Adéma: notre fonds Adéma contient une lettre de lui mais qui malheureusement n’évoque pas du tout le film (…). »
Si elle est avérée, l’identification de celui qui tenait la caméra a un double intérêt. D’une part en ce qu’elle apporte un nouvel éclairage sur Apollinaire ce qui est de moins en moins courant compte tenu du nombre d’universitaires qui se sont déjà penchés sur la courte vie de l’écrivain et, d’autre part, dans le respect du droit d’auteur, il sera nécessaire de mentionner un nom dans le générique des deux bobines une fois que la pellicule sera numérisée, car l’idée d’une projection, éminemment souhaitable, est naturellement en cours.
À force de chercher par ailleurs et comme toujours, on trouve aussi des choses inattendues. L’exploration au mois d’octobre dernier dans les locaux de la BHVP a aussi permis de dénicher une troisième bobine, très différente des deux premières et en apparence plus récente. Elle aussi est de largeur seize millimètres, un format lancé en 1923 par la Eastman Kodak Company. Nouveau mystère donc sauf que sur le début de la bande en question il est mentionné Rouveyre. Il s’agit d’un ami d’Apollinaire, prénommé André, écrivain, journaliste et dessinateur. Tandis que sur la boîte estampillée Kodak, quelqu’un a écrit « Apollinaire ». Vu la longueur de la bobine, il ne s’agit probablement pas de la micro-séquence enregistrée par les deux amis en 1914, dans ce qui pouvait ressembler à un genre de libre-service.
Bref, le mystère numéro un, à peine éclairci, en a soulevé un second. Et grâce à la collaboration de la BHVP, gageons que nous découvrirons en 2024 le contenu des trois bobines, contenant osons-le dire, d’autres fameuses bobines.
PHB
De quoi se perdre entre toutes ces bobines !
Quelle merveilleuse découverte ; quel suspens ! Félicitations pour cette trouvaille cher Philippe Bonnet et cher Gérard Goutierre.
A suivre avec impatience , que la BHVP se dépêche , Noël n’est pas loin pour offrir aux lecteurs SDP un Christmas Gift d’un Journaliste américain en uniforme
By Jove Mortimer! Quelles drôles de bobines! L’enquête continue!
Il est midi. Avec vous par la pensée, donc, amis d’Apollinaire.
Malheureusement, je n’ai vu ce message qu’après le déjeuner, mais avec un peu de retard, je dois ajouter mes félicitations et mes remerciements à Philippe Bonnet et Gérard Goutierre pour votre travail sur cette merveilleuse découverte et de l’avoir porté à notre attention. Trouver des lettres et des photos est une chose, mais l’existence du film est complètement inattendue.
Puisque, comme vous nous le rappelez, ce groupe ne durera pas éternellement, peut-être avons-nous besoin d’un film pour rappeler aux générations futures qu’Apollinaire méritait une tradition très longue et très spéciale.