“J’ai vécu vingt-quatre ans avant de naître” avait coutume de dire Jean Marais (1913-1998), faisant allusion à sa rencontre avec Jean Cocteau (1889-1963). S’il semble, en effet, difficile d’évoquer le comédien sans citer son Pygmalion, l’inverse est également vrai, comme le prouve une nouvelle fois la rétrospective consacrée au poète-cinéaste à la Cinémathèque. (1) En 1937, lorsque le jeune Marais, élève-figurant chez Dullin, auditionne pour “Œdipe-roi”, la rencontre s’avère déterminante pour l’un, comme pour l’autre. Le poète quadragénaire prend le jeune homme sous son aile, l’éduque, le révèle à lui-même, et lui apporte une gloire qu’il sait méritée; celui-ci, en retour, lui inspire ses plus belles œuvres. Poèmes, dessins, pièces et films naissent de cette relation exceptionnelle, amoureuse, intellectuelle et artistique. La beauté et le talent de Marais, conjugués au génie de Cocteau, font de “L’Éternel retour” (1943), “La Belle et la Bête” (1946), “Orphée” (1949) des chefs-d’œuvre du 7e art. Le 8 novembre 1998, il y a 25 ans, Jean Marais s’en allait retrouver son poète. Par la magie du cinéma, il est encore un peu parmi nous.
Jean Marais voit le jour à Cherbourg le 11 décembre 1913 – “Demandez le 11-12-13 !” s’amusait-il à dire -, mais c’est en 1937 que l’apprenti-comédien fait la rencontre de sa vie. À travers Cocteau, dont les amis se nomment Max Jacob, Christian Bérard, Chanel, Auric, Picasso, Colette…, un monde s’ouvre à lui. Le poète, après lui avoir confié le rôle du Chœur dans “Œdipe-roi”, puis de Galaad le très pur dans “Les Chevaliers de la Table Ronde”, écrit des pièces à son attention : “Les Parents terribles” (1938), “La Machine à écrire” (1941), “Renaud et Armide” (1943) ou encore “L’Aigle à deux têtes” (1944). En parallèle, Jean Marais monte ses propres projets théâtraux, dont il signe la mise en scène, le décor et les costumes : “Britannicus” (1941), “Andromaque” (1944).
“Les Parents terribles” lui apportent une certaine notoriété, mais la célébrité viendra avec le cinéma, Cocteau ayant décidé de lui écrire son film, une grande histoire d’amour dont il serait le héros. Ce sera “L’Éternel retour” (1943), une version moderne de “Tristan et Yseult” dont Cocteau emprunte le titre à Nietzsche et confie la réalisation à Jean Delannoy. Madeleine Sologne et Jean Marais, avec leurs chevelures blond platine, y forment un couple de toute beauté. Le succès est tel que le jeune homme devient du jour au lendemain l’objet d’adulation de toute une génération. Par la suite, Cocteau adapte pour l’écran et réalise lui-même un conte que le jeune acteur aime particulièrement : “La Belle et la Bête” (1946). Jean Marais y interprète, aux côtés de Josette Day, le rôle de la Bête ainsi que celui d’Avenant et du Prince. Poème cinématographique à la féérie inégalée, ce film est aujourd’hui mythique.
Le second conflit mondial amène le comédien à s’engager et à faire preuve d’un courage exemplaire. Il rejoint la 2ème DB du Général Leclerc et reçoit la Croix de guerre. Pendant l’Occupation, il se montre également héroïque en rouant de coups le critique du journal collaborationniste Je suis partout Alain Laubreaux, qui avait décidé d’éreinter Cocteau et sa “Machine à écrire” (1941) avant même d’avoir vu la pièce, épisode repris par Truffaut dans “Le Dernier Métro” (1980).
Après guerre, afin de laisser une trace de l’interprétation de ses pièces, Cocteau adapte au cinéma “L’Aigle à deux têtes” (1947) et “Les Parents terribles” (1948), et écrit pour Jean Marais son premier rôle de cape et d’épée, une adaptation de “Ruy Blas” (1948). Mais c’est en 1949 que voit jour une de leurs plus belles associations artistiques : “Orphée”, transposition moderne du célèbre mythe. Jean Marais y incarne le poète chanté par Cocteau, traverse les miroirs pour se rendre aux Enfers et tombe amoureux de la mort elle-même, jouée par Maria Casarès.
Dans les années 50-60, le comédien tourne avec Renoir, Visconti, Guitry, Abel Gance…, mais l’athlétique quadragénaire se fait aussi le héros de films d’aventures et de cape et d’épée à succès, tels “Le Bossu” (1959), “Le Capitaine Fracasse” (1961) ou la série des Fantômas. Si les vies de Marais et de Cocteau prennent à cette époque des chemins différents, l’amitié subsiste, indélébile. Marais accepte une simple apparition dans “Le Testament d’Orphée” (1960) tandis que le poète signe l’adaptation de “La Princesse de Clèves” (1961) de Jean Delannoy dont Jean Marais partage l’affiche avec Marina Vlady.
Le 11 octobre 1963, Jean Cocteau succombe à un œdème du poumon. Mais Marais vivant, Cocteau ne sera pas oublié. Pendant les 35 années qui suivirent, l’acteur ne cessera de monter ses pièces avec constance. La carrière à l’écran du comédien, qui se partage désormais entre le théâtre et la poterie, se termine, à l’exception de rares apparitions, sur une merveille cinématographique : “Peau d’âne” (1970). Un conte de fée qui en rappelle un autre, et dans lequel la silhouette imposante du Roi-Marais ressemble à s’y méprendre à celle de La Bête. Tel un ultime hommage au poète…
Isabelle Fauvel
Merveilleux article et très bel hommage Isabelle ! Je cours voir la rétrospective.
J’ai eu la chance rare d’interviewer Jean Marais : il était d’une élégance et d’une gentillesse exceptionnelle. Il maniait la langue française comme Druon : un phrasé, un vocabulaire limpides. Et quelle beauté ! Peu de temps avant sa mort, il jouait encore au théâtre emplissant la scène de sa silhouette gigantesque et de sa présence si délicate . Merci de nous rappeler le souvenir de cet immense acteur …et de son mentor prolifique !
Merci à Isabelle d’avoir célébré ce merveilleux comédien qui est resté dans les mémoires de tous ceux qui l’ont connu et d’avoir placé ces deux belles photos.
Superbe hommage à cet immense comédien ! Que de mystère et de poésie dans sa filmographie avec Cocteau, merci de nous donner envie d’y replonger avec délice et ravissement !
Bel article, mais vous n’avez pas mentionné son talent pour la sculpture !
Au plaisir de vous lire, cordialement
Inès van der Smit-Korbee
Et de dessinateur ! Il y a tant à dire… Cela pourrait faire l’objet d’un article à part entière. Pour l’heure, je me suis principalement cantonnée au cinéma de Cocteau dans le cadre du cycle de la Cinémathèque. Mais, merci de souligner un autre de ses talents.