La gestation d’un musée requiert une certaine patience. Entre 1995 date de l’élection de Michèle Tabarot à la Mairie du Cannet, et l’inauguration à l’été 2011 du Musée Bonnard, on mesure le chemin parcouru. Et c’est sans compter les années passées par celle qui était alors maire adjointe de la ville (où mourut Bonnard en 1947) à nouer des liens avec la famille du peintre. L’exposition inaugurale qui s’est achevée en septembre a tout de même fait venir 52.000 visiteurs ce qui est une sorte de succès.
Passée l’impulsion génitrice, ce musée monographique entend s’inscrire désormais dans la durée et dévoilera dès le 16 octobre sa collection permanente constituée d’acquisitions, de dons, de dépôts et de prêts. L’hôtel acquis pour l’occasion est seulement un témoignage de la Belle Epoque puis que pierre Bonnard n’y a pas vécu. Cette maison a d’abord été construite pour un usage privé jusqu’en 1935. Puis elle devient une pension de famille, se transforme en commissariat de police à partir de 1943 et jusqu’en 1947 avant de reprendre son activité hôtelière jusqu’en 1990.
Les acquisitions destinées à constituer une collection remontent au début de années 2000. L’ensemble comporte quelques achats majeurs dont «Paysage de nuit», «Paysage du midi», «Baigneurs à la fin du jour» et surtout un «Nu de profil» acquis en 2010.
Ce nu de profil date de 1917. La représentation de Marthe nue est assez emblématique d’une production pléthorique entièrement tournée vers sa femme. On pourrait même se permettre de supposer que y compris dans les paysages du peintre, sans parler de sublimation, Marthe n’est jamais bien loin. Pierre Bonnard a rencontré sa femme en 1893. Il l’épouse le 13 août 1925 et Renée Monchaty, un modèle qu’il avait secrètement emmenée à Rome en 1921, se suicide quelques semaines plus tard.
A propos de Renée Monchaty, Guy Coffette, dans son livre «Elle, par bonheur, et toujours nue», avait écrit à propos de cette escapade à Rome : «Une quinzaine en liberté, hors de l’étouffante présence de Marthe, pour souffler un peu, respirer autrement l’air des rues pleines de soleil et d’ombres fraîches comme des fontaines ; pour avoir vingt ans à nouveau et folâtrer au bras d’une blonde en robe légère, aussi blonde que Marthe est brune, aussi rieuse qu’elle est triste, aussi lumineuse qu’elle est éteinte…».
C’est peu de temps après cette disparition que Bonnard s’installe au Cannet, sur les hauteurs, dans une petite maison qu’il baptise le Bosquet. Il y passera les années de guerre tout en entretenant une correspondance avec Matisse. Il y fera poser Dina Vierny, le modèle de Maillol et aussi Mouchy, sa jeune gouvernante qui deviendra son modèle après la mort de Marthe en 1942.
Les alentours du Cannet où il louera 3 villas avant d’acheter sa maison, auront une profonde influence sur Bonnard , il y puisera une inspiration constante. Cet environnement forme l’écrin quelque peu éternel d’une vie commune presque cloîtrée. Les œuvres paysagistes réunies pour le musée y seront bien à leur place. Il incombera au visiteur de passage de capter les mêmes effluves, de saisir les mêmes miroitements, de déceler les mêmes nuances colorées à l’origine d’un talent aussi manifeste que reconnu tardivement, du moins en France.
«J’espère que ma peinture tiendra, sans craquelures. Je voudrais arriver devant les jeunes peintres de l’an 2000 avec des ailes de papillon» énonçait Pierre Bonnard en 1946. Voilà une invitation en bonne et due forme pour découvrir ou redécouvrir Pierre Bonnard dans « son » musée du Cannet.
Post-scriptum 1 : une photo (nue…) de Marthe figure parmi la collection. Elle rappelle que dès la fin du 19e siècle, Bonnard a fait des photographies. Celle-là a été prise entre 1900 et 1901. Le peintre a aussi photographié sa famille, des enfants notamment. Dans le livre «Pierre Bonnard photographe» on le voit aussi à Venise en 1899 en compagnie de son ami Edouard Vuillard. Un livre plein d’intérêt documentaire que l’on gagnera à se procurer.
Post-scriptum 2 : «J’aime beaucoup la peinture de M. Bonnard. Elle est simple, sensuelle, spirituelle dans le meilleur sens du mot et, je ne sais pourquoi, me fait obstinément penser à une petite fille gourmande.». Voilà ce qu’en disait Guillaume Apollinaire en résumé dans son compte rendu de l’exposition Bonnard de mars 1910 (dans L’Intransigeant). Merci à Laurence Campa pour ce précieux apport.
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