Modigliani et son dealer attitré occupent l’Orangerie

Rien que pour ce masque du 18e siècle en provenance du Gabon, un saut à l’Orangerie se justifierait. Sa spiritualité expressive n’a de pair que son élégance. On peut le voir en ce moment-même dans le cadre de l’exposition qui vient d’ouvrir à l’Orangerie avec pour thématique Amedeo Modigliani (1884-1920) et son marchand Paul Guillaume (1891-1934). L’un était sculpteur et les deux aimaient les sculptures, ce qui fait qu’outre les peintures on trouve tout au long de la scénographie des sculptures, de la main de Modigliani ou non. Jusqu’en 1913 au moins, Modigliani sculptait presque exclusivement avant de se consacrer à la peinture et de produire des centaines de tableaux. Avec un style si particulier, dans le traitement et les couleurs, qu’il n’est pas besoin de consulter la signature pour attribuer chacune des toiles à son auteur. Il est mentionné sur place et au conditionnel que c’est par l’intermédiaire du poète Max Jacob (1876-1944) que Paul Guillaume aurait fait la connaissance de Modigliani. Néanmoins il en avait sûrement entendu parler bien plus tôt via Guillaume Apollinaire, son accompagnateur dans le monde des arts. Et gageons  qu’il n’a pu manquer la première exposition monographique consacrée à l’artiste en 1917 à la galerie Berthe Weill (1).

C’est quelque chose d’assez courant ces derniers temps que de constater le manque d’épaisseur des expositions, une fois que le thème en a été fixé, comme en ce moment au Luxembourg avec Picasso et Stein. Au point que dès l’entrée de l’exposition de l’Orangerie, figure sur un mur une explication qui sent fort la nécessité d’une justification, au cas où un visiteur aurait des doutes. Il y est écrit que les « œuvres présentées (…) ont un rapport étroit avec Paul Guillaume: qu’elles lui aient appartenu, aient été vendues par lui ou aient été commentées dans sa revue Les Arts à Paris ». Sur ce dernier point d’ailleurs, un exemplaire du numéro 6 avec Apollinaire au sommaire fait partie des objets exposés. Il s’agit d’un article posthume datant de 1920, soit trois après la mort du poète en 1918, année du lancement de la publication.

La narration de cette exposition manque un peu de consistance mais on l’a dit il y a là comme un phénomène en cours. On accole un nom à un autre et vogue la galère, l’intendance suivra. Comme la descente de niveau est progressive, sans doute que le public s’y habituera.

L’expo n’est en tout cas pas sans rappeler la présentation en 1966, en ces mêmes lieux, de la « collection Jean Walter et Paul Guillaume ». Le catalogue que l’on peut encore trouver avec un peu de chance sur le marché de l’occasion, par son poids, démontre la substantialité du thème et du matériel correspondant. Dans la mesure où il s’agissait de l’acquisition par l’État des collections respectives de Jean Walter et de l’acheteur Paul Guillaume. Des Modigliani et autres Cézanne, Picasso, Derain, Gauguin, Laurencin, la manne était suffisamment exceptionnelle pour que Malraux en personne fît le déplacement.

Car il connaissait la source. Ce que l’on sait moins en effet, c’est le rôle joué par la vendeuse à l’État. Juliette Lacaze, née en 1898, avait rencontré Paul Guillaume qui l’épousa en 1920 et la surnomma Domenica. Elle hérita de sa fortune et de son extraordinaire collection. Elle se remaria en 1938 avec l’architecte Jean Walter (1883-1957), ancien aide de camp de Clemenceau ayant par la suite fait fortune dans les mines. La mort prématurée des deux maris a pour le moins donné naissance à des soupçons, quant au peu d’allant de Domenica pour leur venir en aide au moment critique. Dans Paris Match en 2016, un article éloquent de l’académicien Jean Rouart était ainsi titré: « Domenica Walter, la diabolique: un destin hors normes ». Cet article est disponible en intégralité sur le site de l’hebdomadaire (2).

Cet aspect des choses ne fait pas partie de l’exposition du moment mais l’auteur de la toute nouvelle biographie de Paul Guillaume, Sylphide de Daranyi, évoque le personnage à maintes reprises. Ouvrage dont nous aurons prochainement l’occasion de parler dans les colonnes des Soirées de Paris.

Ce Paul Guillaume qui s’occupa tant de Modigliani que celui-ci en fit quatre portraits peints dont un est conservé à l’Orangerie. Celui que nous publions (ci-contre), date de 1916 et fait partie des collections du Museo del Novecento à Milan. Paul Guillaume a alors 23 ans. Il porte une cravate, parfois des gants  et sa mise témoigne d’une certaine élégance parisienne, de nos jours presque totalement évaporée. Comme c’est le cas également d’un portrait de Max Jacob bienheureusement exposé lequel portait de surcroît un haut de forme. Mais là bien sûr ce serait trop demander aux Parisiens et touristes variés qui croisent sur les boulevards et dans les musées, en n’hésitant pas à jumeler la tong avec le bas de jogging.

PHB

« Modigliani, un peintre et son marchand » Musée de l’Orangerie, jusqu’au 15 janvier

(1) À propos de Berthe Weill
(2) L’article de Paris Match sur Domenica

Photos: ©PHB

 

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5 réponses à Modigliani et son dealer attitré occupent l’Orangerie

  1. Martine Esquirou dit :

    Excellent ! Même impression d’accouplement étrange au musée Maillol entre Elliott Erwin et le peintre ! Le prétexte est mince : Maillol et lui aimaient les femmes (sic). Et Erwin a pris une photo de jeune fille devant une sculpture de Maillol. Mais le photographe est merveilleux. Courez voir l’expo !

  2. Jean V. dit :

    Merci pour ce post ! J’aurais préféré une expo sur Modigliani et Akhmatova, tableaux et poèmes !

  3. Pierre DERENNE dit :

    Quel dommage que Juliette Lacaze n’ai pas publié ses mémoires. Nous aurions eu un traité antropologie des hommes de cette moitié du vingtième siècle avec, néanmoins, quelques conséquences aux regards de leurs thuriféraires

  4. Gilles Bridier dit :

    Dommage que dans cette exposition, la place de Modigliani soit limitée à la portion congrue à côté de celle consacrée à Paul Guillaume. L’un serait-il le faire valoir de l’autre pour les faire jouer à fronts renversés ?

  5. Rita des Roziers dit :

    Les expositions au Luxembourg sont, il me semble, destinées à un plus large public (j’avoue ne plus y aller). Le musée de l’Orangerie a un fonds assez intéressant et malgré tout on y passe un très bon moment – avec un fil conducteur plus ou moins heureux, c’est vrai. L’exposition Soutine/de Kooning était excellente, un parcours réussi : l’enchaînement des pièces, fresques, vidéos. Les tableaux alignés, certains côte à côte avec des différences saisissantes. Un vrai plaisir (j’y suis allée trois fois).

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