Apothicaire aux armées, Antoine Parmentier s’était retrouvé, en 1763, deux semaines prisonnier des Prussiens, pendant la Guerre de sept ans. Sa nourriture principale constitua alors en une plâtrée quotidienne de kartoffeln bouillies. Curieux de nature, il s’informe. Le nom dérivait de l’appellation donnée au produit par un botaniste autrichien : taratufli, c’est-à-dire petite truffe. Depuis un arrêt de Frédéric II, en 1756, la culture et la consommation du tubercule étaient devenues obligatoires. La population en avait pris l’habitude, comme moyen de pallier les conséquences des pénuries de céréales, les années de mauvaises récoltes. Rentré chez lui, Parmentier transforma cette expérience en idée fixe. La pomme de terre, puisque c’est d’elle dont il est ici question, n’était pas inconnue dans le royaume. Elle servait à la nourriture du bétail, des miséreux et des soldats en campagne, à défaut d’autre chose. Car sa réputation s’avérait exécrable. Son apparence la rapprochait de la mandragore, racine satanique. Ne coûtant rien et ne rapportant rien, elle ne supportait aucune taxe, et notamment la dîme ecclésiastique. Le Parlement de Paris, en 1748, en avait interdit l’exploitation, l’accusant de répandre la lèpre.
Mais la famine de 1769 va conduire l’Académie de Besançon, en 1771, à mettre au concours une question essentielle : «quels sont les végétaux qui pourraient suppléer, en temps de disette, à ceux que l’on emploie communément à la nourriture des hommes.» Parmentier candidate, et remporte le prix. Il en fera, dix ans plus tard son sujet de thèse. Il avait repéré, dans la farine de froment, deux composants principaux, l’un glutineux, l’autre amylacé. Les qualités nutritives des amylacées lui apparaissait supérieures. Une plante riche en amidon constituerait, par conséquent, une bonne ressource pour suppléer l’absence de grains de blé. Ce qui était le cas de la pomme de terre. Avec l’inconvénient d’une grande fadeur de goût, et la production notable de flatulences dans l’organisme du consommateur, persistant après cuisson. Chance, en 1772, la Faculté de médecine de Paris s’était prononcé en faveur de l’innocuité de son ingestion.
D’une redoutable obstination, il finit par obtenir une pension de Louis XVI pour poursuivre ses recherches. Il est autorisé à expérimenter dans la plaine des Sablons, sur la paroisse de Neuilly (1). Le champ caillouteux, réputé impropre à toute utilisation agricole, sert de terrain de manœuvres. En août 1786, il est couvert de fleurs, annonçant une récolte abondante. Néanmoins, le plus dur reste à faire, convaincre les honnêtes gens de la bonne qualité alimentaire du végétal. D’abord utilisé sous forme de pain, on en diversifie les préparations. Parmentier serait lui-même à l’origine de la recette d’un hachis à base de viandes recouvert d’une épaisse couche de purée. Il va se révéler aussi bon communicant qu’il est bon scientifique…En 1787, en l’hôtel des Invalides où se trouve son lieu d’affectation, il organise un grand repas mondain, riche en divers plats à base de sa merveille.
La créativité culinaire va faire le reste, intégrant le produit. Le traité d’Antoine Carême, en 1833, comporte neuf recettes, le grand dictionnaire posthume d’Alexandre Dumas (1873), quinze, le guide culinaire d’Auguste Escoffier (1903) cinquante neuf. Y figure, en particulier, la préparation des Pommes Pont Neuf. Soient des bâtonnets de 1 cm d’épaisseur et de 7 cm de long, plongés dans une friture chaude, en deux bains successifs, afin d’obtenir un aspect extérieur croustillant en conservant un moelleux à la dégustation.
Beaucoup trouvent, dans cette dénomination, la preuve de l’origine bien française de la frite. Elle serait apparue, précisément, sur le Pont Neuf. Préparée et vendue par des marchands ambulants, au moment de la Révolution, magnifique exemple de la cuisine de rue. Les Belges contestent : à peu près à la même époque, la Meuse étant gelée, les pêcheurs se virent dans l’impossibilité de préparer leur menu fretin à l’intention des passants. L’idée leur vint de frire, à la place, des morceaux de pommes de terre.
Depuis près de deux siècles, la querelle perdure, entre Paris et Bruxelles, chaque camp étant dépourvu du moindre document tangible à faire valoir.
Pour les états-uniens, la cause est entendue : on dit french fries. Relevons qu’en février 2003, moment où la guerre en Irak menaçait, l’hostilité de la France à la position belliqueuse de la Maison Blanche se traduisit par une violente francophobie. Les représentants républicains au Congrès obtinrent qu’elles soient rebaptisées freedom fries. L’histoire ne dit pas ce qu’il advint, à la même époque, pour la french letter. Ce que le dictionnaire traduit par condom. Et le langage populaire en «capote anglaise».
Jean-Paul Demarez
Délectable ! Je mangeais donc des petites truffes sans le savoir… Pour ceux qui veulent approfondir, je conseille la lecture de « Toute la pomme de terre » de Lucienne Desnoues au Mercure de France.
» Et patati et patata ! »
Je ne me souviens pas que Lucienne ait recensé l’onomatopée, qui n’a pas grand rapport avec le sujet. Mis à part, peut-être, quand on en a gros sur la patate ?…
Les amateurs se rendent à la station de métro Parmentier, où outre une exposition sur la pomme de terre, on peut admirer une superbe statue de Parmentier offrant une patate à un miséreux éperdu de reconnaissance.