À Bruxelles, Art nouveau et maison d’exception

Ce qui frappe d’abord, c’est la fresque monumentale de la cage d’escalier (ci-contre). On ne sera pas surpris d’apprendre que l’auteur, le Français Paul Baudouin, connu précisément pour avoir remis à l’honneur l’art de la fresque, était disciple de Puvis de Chavannes. On y voit, dans un décor marin, un jeune homme triste (façon romantique), consolé par une muse, entouré de nymphes vêtues de voiles et joueuses de lyres. Ne manquent au décor que quelques vers de Pierre Louys… Mais c’est Verhaeren qui résume au mieux l’atmosphère diaphane, quasi impalpable des lieux :«L’instant est si beau de lumière/Dans le jardin autour de nous/L’instant est si rare de lumière première…/Dans notre coeur au fond de nous.» Cet extrait des « Heures Claires » du poète flamand est gravé sur un meuble ornant l’une des pièces de la maison Hannon, joyau de l’art nouveau à Bruxelles, tout récemment rouvert au public. La capitale belge, on le sait, est connue comme l’un des hauts-lieux de cette architecture qui place la beauté au même rang que le bien-être et privilégie le raffinement plutôt que le luxe tapageur. L’art nouveau est autant un état d’esprit qu’un style. Le maître en est incontestablement l’architecte belge Victor Horta, né en 1861, dont la maison musée, 27 rue Américaine à Bruxelles, constitue un passage obligé. À quelques centaines de mètres, la maison Hannon constitue désormais une étape indispensable pour le circuit «art nouveau» dans la capitale belge.

Située dans la commune de Saint Gilles (Bruxelles est divisée en dix-neuf communes, un peu l’équivalent des arrondissements de Paris), cette bâtisse assez importante a été construite entre 1903 et 1904 par Jules Brunfaut, un architecte belge réputé dont ce fut la première réalisation dans ce style. Le commanditaire, Édouard Hannon, est l’un de ses amis intimes. Cadre dirigeant de la firme de produits chimiques Solvay, il n’est pas seulement un professionnel compétent; c’est aussi un amateur d’art, passion qu’il partage avec son épouse, la française Marie Debart, rencontrée lors d’une mission près de Nancy. Il est lui-même artiste peintre et surtout photographe de talent. En 1874, âgé d’à peine 21 ans, il participe à la création de l’Association belge de photographie. Le musée d’Orsay conserve d’ailleurs quelques unes de ses épreuves.

En 1903, Édouard Hannon a la cinquantaine. La firme Solvay l’a chargé de veiller à son développement à l’étranger, ce qui lui a permis de voyager dans un grand nombre de pays. Il forme avec son épouse un couple aimant. À l’aube du nouveau siècle, on peut imaginer qu’il ne lui manque alors qu’une … pierre à la construction de sa réussite: une demeure personnelle, à la fois luxueuse et originale, témoignant du goût raffiné pour l’art, la poésie, le renouvellement des lignes et des formes. Ce sera cette maison de maître. Le style «art nouveau» est alors en peine effervescence, mais la demeure possèdera sa singularité. En plus de leur inclination pour les créateurs de leur temps, les deux commanditaires ont des centres d’intérêt complémentaires : l’antiquité pour Édouard, la botanique pour Marie (d’où la présence d’une grande serre débordant sur la rue). Par ailleurs, en 1900, à l’exposition universelle de Paris, le couple a fait la connaissance du nancéien Émile Gallé, l’une des grandes figures de l’art nouveau en France, dont le renom est déjà important. La demeure sera ainsi entièrement meublée par les ateliers Gallé. Mobilier, vases et luminaires spécialement conçus pour la maison contribueront à en accentuer l’originalité. Une dizaine d’années plus tard, une autre grande figure des arts décoratifs complétera le mobilier intérieur: Louis Majorelle.

Habitée par la famille jusqu’en 1965, puis inoccupée pendant plusieurs années, la maison fit ensuite l’objet de nombreux vols et actes de vandalisme. Il fallut l’intervention de la fille de l’architecte Brunfaut pour que les pouvoir publics interviennent et classent l’édifice, qui devint propriété de la commune. D’importants travaux ont permis que cette maison d’exception retrouve en partie son panache début-de-siècle. L’ensemble n’est pas encore totalement ouvert à la visite, mais la maison sert d’écrin à la présentation d’objets décoratifs de l’époque -ce qui rajoute au charme de la redécouverte- comme cette applique de bronze et cristal de l’architecte décorateur belge George Hobé de 1902 (ci-contre). De grandes institutions françaises comme le musée des arts décoratifs à Paris, les Beaux Arts de Reims et le musée de l’École de Nancy participent activement à cette renaissance.

Gérard Goutierre

Maison Hannon, angle de l’avenue Brugmann et de l’avenue de la Jonction 1060 Bruxelles
Réservations fortement conseillées

Photos: ©G.Goutierre

 

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Une réponse à À Bruxelles, Art nouveau et maison d’exception

  1. annechantal dit :

    Merci merci, on va se précipiter, c’est certain !!

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