Autant Christopher Nolan en avait fait des (mégas) tonnes pour son film sur Oppenheimer sorti au mois de juillet, autant Rushmore DeNooyer avec son documentaire sur « La bombe » avait dû se dire qu’avec un sujet pareil, même en restant sobre, l’impression serait forte. Dans le premier cas, le bruit de l’explosion atomique est amplifié par les amplificateurs des salles de cinéma jusqu’à faire trembler le sol et les sièges. Cet effet circus n’est pas le seul défaut du film, à côté de qualités évidentes qui font presque passer les trois heures de projection comme une formalité. Dans son documentaire visible jusqu’au mois de décembre sur Arte, le réalisateur est allé plus loin que la bombe A. Il a pérégriné jusqu’à la bombe à hydrogène (H) tout en agrémentant (si on peut dire) son sujet, d’une bonne mise en contexte. Pas de romance, pas de scènes de sexe, que des informations et le tout a été enveloppé en une heure trente chrono. Deux fois plus de matière (fissile) en deux fois moins de temps: ceux qui n’ont pas pu ou voulu voir le film, ceux qui ont pu et voulu voir le film, trouveront dans ce documentaire, une substance plus carrée tout en restant fascinante, comme pourrait l’être un aperçu de l’enfer.
D’autant que les deux vrais personnages, le physicien Oppenheimer et le général Groves qui a engagé le premier, ressemblent étonnamment à ceux qui les portent dans le film soit Cillian Murphy et Matt Damon. Ces derniers étant au passage et hormis leur talent mimétique, pleinement convaincants chez Nolan.
Mais le documentaire fait mouche. Il part de la découverte faite par hasard en 1938 par deux chimistes allemands, Otto Hahn et Fritz Strassmann. Peut-être pour tuer le temps ou casser la mauvaise ambiance de l’époque qui sait, ils provoquent une réaction nucléaire en bombardant de l’uranium avec des neutrons lents. Ils ont alors décrit le phénomène à une certaine Lise Meitner, physicienne réfugiée en Suède. Laquelle en vint à conclure qu’il s’agissait d’une fission, clé de toute explosion nucléaire. Hahn a eu le prix Nobel et non Meitner. Une injustice qui paraît bien faible par rapport à celle subie par les populations de Hiroshima et Nagasaki.
De ce documentaire au bon goût d’uranium 235 si l’on peut dire, on comprend bien que Robert Oppenheimer n’était en rien le père de de la bombe atomique mais un de ses multiples géniteurs. Mais qu’en revanche c’est bien à lui que fut confiée la direction du projet Manhattan, lequel avait tout à voir avec un quartier de New York, tout comme un fameux cocktail fait de whisky et de vermouth. Le baptiser « père de la bombe atomique », fut un procédé un peu facile pour se disculper à bon compte d’y avoir été associé ou d’avoir été le donneur d’ordre.
Achevé en 2015 « La bombe » bénéficie en outre de nombreux témoignages et d’images déclassifiées. Parmi les témoignages figure celui de l’historien américain Richard Rhodes soulignant cette évidence : « Pour la première fois, nous étions maintenant capables de notre propre destruction en tant qu’espèce« . C’est peut-être bien pour cela que face au champignon de gaz puis de feu qui s’élève dans l’atmosphère, l’on reste tout de même un peu hypnotisé comme des homards, à qui un cuisinier expliquerait à quelle sauce ils seront mangés après avoir été ébouillantés.
Au rythme actuel de la prolifération, la probabilité pour qu’une bombe explose à nouveau avec l’écho des ripostes, ne cesse de croître. Et avec cette hypothèse, l’esquisse d’une apocalypse se précise, rendant singulièrement d’actualité un texte rédigé par Émile Zola en 1892, décrivant Paris en feu: « On aurait dit un soleil de sang, sur une mer sans borne. Les vitres de milliers de fenêtres braisillaient (sic), comme attisées sous des soufflets invisibles; les toitures s’embrasaient telles que des lits de charbon ». L’apocalypse de Saint-Jean, fin des temps précédant l’instauration d’un royaume divin, est paradoxalement une thèse à succès, vu que l’on adore se faire peur comme dans « Melancholia » (Lars von Trier, 2011) où une planète vient percuter la terre et atomiser dans le même temps tous nos petits soucis.
Sauf que là, dans ce documentaire, c’est beaucoup moins improbable. Rushmore DeNooyer n’a pas eu besoin d’effets spéciaux, ni de scénaristes à même de maintenir l’intensité de l’intrigue à coups de rebondissements savamment distillés. Il n’a pas eu besoin non plus d’en rajouter pour nous faire prendre conscience du danger. L’ambiance des documentaires est traditionnellement plus neutre que les fictions. Austère, ce long métrage terriblement efficace semble même se retenir tout du long. Tout comme la bombe qu’il décrit, muette jusqu’au compte à rebours.
PHB