Le soixante-huitard a les honneurs du Larousse : «personne qui a conservé l’esprit, les idées des évènements de mai 1968.» Cette définition se conjugue, par conséquent au passif. Le dictionnaire se garde bien de s’aventurer dans la définition de cet esprit et de ces idées. Car, à l’instar des membres du mouvement du 22 mars (1968) dont ils constituent l’exponentielle, les soixante-huitards, dans leur période constitutive, s’inscrivaient dans des identités multiples. Certains étaient encartés dans de sibyllins acronymes, UNEF, JCR, UJC(ml), CAR , CAU, MAU, GP (gauche prolétarienne)…. D’autres se réclamaient de mouvances plus vagues, chrétiens de gauche, guévaristes, marxistes en froid avec le PCF, anarchistes, maoïstes avec la sous variété mao-spontex, dutschkistes, proches du révolutionnaire berlinois Rudolf Dutschke, dit Rudi le rouge. D’autres enfin, sans identification spécifique, étaient entrés dans la danse en ayant cru voir de la lumière. L’ensemble s’était toutefois retrouvé sur le mot d’ordre de leur leader le plus charismatique, un étudiant en sociologie de Paris-Nanterre, Daniel Cohn-Bendit : «Bougeons d’abord, nous ferons la théorie du mouvement après.»
Dans sa phase active, l’idéologie soixante-huitarde s’est principalement exprimée par une rhétorique lacunaire et péremptoire, les slogans. Ils pouvaient être calqués sur les murs, qui, par conséquent «avaient la parole», au pochoir ou en graffitis, imprimés sur ces affiches si caractéristiques, sorties de la section peinture de l’école des Beaux Arts, rebaptisée Atelier populaire. L’éventail de ces slogans était très diversifié. Oedipien «Papa pue», autocritique «J’ai quelque chose à dire, mais je ne sais pas quoi», incitatif «Déboutonnez votre cerveau aussi souvent que votre braguette», puéril «Prenez vos désirs pour des réalités», vengeur «Les jeunes font l’amour, les vieux font des gestes obscènes», agressif «Ne dites plus Monsieur le Doyen, dites crève salope», mobilisateur «Ce n’est qu’un début, continuons le combat», lucide «J’emmerde la société, mais elle me le rend bien», sexuel «Jouissez sans entrave», surréaliste «Je suis marxiste tendance Groucho», contestataire «La volonté générale contre la volonté du Général», désabusé «Élections, piège à cons», curieusement emprunté à Charles Maurras «Les libertés ne se donnent pas, elles se prennent»… Et, sans limiter l’inventaire, le plus célèbre, émis sur le mode ricaneur par Jean Yanne, mais recyclé au premier degré: «Il est interdit d’interdire.»
La plupart de ces postulats ne procédait pas de la génération spontanée, mais de l’activité créatrice d’une dizaine de lascars, rassemblés en la Sorbonne occupée autour de Guy Debord et Raoul Vaneigem. Ils ont, par la suite fait l’objet de colloques, d’anthologies et de thèses universitaires… On n’a que la joie que l’on se donne. Un instant caressé par l’idée de célébrer le cinquantième anniversaire des évènements, le président Macron a finalement renoncé, le soixante-huitard n’ayant plus bonne presse. Le quarantième anniversaire, en 2008, abondamment commémoré, sera donc son chant du cygne.
Dans le flot de bimbeloterie déferlant sur le marché cette année-là, un véritable objet collector, produit par la marque Fauchon : la boîte de «thé au parfum de révolution». Un thé de Chine, aromatisé feuilles de rose et agrumes présenté dans une boîte métallique, bariolée de slogans souvenirs, illustrée d’un poing brandi. Les soixante-huitologues relèveront l’origine chinoise du thé. Leur reviendra alors un autre mai, le 8 mai 1970, jour de l’attaque de l’épicerie de luxe Fauchon, ( qui faisait le coin de la place de la Madeleine), par un commando maoïste français. Fauchon, conjugaison du verbe faucher à la première personne du collectif pluriel. Le but des gardes rouges à l’initiative de la réquisition n’étaient en rien crapuleux. Il s’agissait de se procurer de la nourriture de riches pour la distribuer aux pauvres. Un geste situé quelque part entre le romantisme de Robin des Bois et un crétinisme sociologique avéré, aggravé par une ignorance crasse de la physiologie du goût. Les particularités des mets de riches ne sont, en effet, pas perceptibles au premier contact. Des années, voire plusieurs générations d’éducation des papilles peuvent être nécessaires pour savoir distinguer un béluga d’un osciètre, ou répondre sans erreur à la question «mi-cuit au torchon, certes, mais oie ou canard ?» Non pas tant à des fins alimentaires que pour laisser sous-entendre sa parfaite maîtrise des codes usités au dessus du seuil de richesse.
Il fallait vraiment être un indécrottable étudiant normalien supérieur variété rue d’Ulm sous catégorie Althusser, secte d’origine de la Gauche prolétarienne, pour imaginer apporter ainsi le bonheur dans les bidonvilles. En omettant, par surcroît, le caractère rédhibitoire de la mention «porc 35%» sur certaines étiquettes. L’enfer est pavé de bonnes intentions.
Jean-Paul Demarez
un crétinisme sociologique avéré ????!!!!! cela fait chic mais il faut développer….
L’histoire du « pillage » chez Fauchon était un symbole (cqfd) et uniquement un symbole.
Pas de culture gastronomique là dedans !
Cdlt
Quoi qu’on en dise et même si la symbolique de mai 68 est toujours illustrée de quelques pavés, les évènements de l’époque furent bien moins violents que maintes manifestations ordinaires actuelles qui ne demeureront pas dans les annales. Et outre la symbolique, le mouvement fut l’expression d’une véritable contestation idéologique et solidaire, avec un vrai engagement politique, et pas seulement une revendication consumériste, opportuniste et individualiste comme bien d’autres formes d’expression aujourd’hui.