Selon le bon sens populaire, un homme libre manifeste cette qualité par l’expression de sa pensée. Archétype de l’homme libre, dans notre tradition philosophique: Voltaire. La femme libre, elle, se caractérise par une activité amoureuse intense et multiforme. Exemples: George Sand, Sarah Bernhardt. Ainsi, dans l’espèce humaine, le siège de la liberté semble faire l’objet d’une différenciation déterminée par le genre. Aux uns, elle vise les neurones, aux unes, l’activité hormonale. Ce qui, soit dit en passant, fait peu de cas des nombreuses femmes s’étant illustrées par leur indépendance d’esprit, d’Émilie du Châtelet à Élisabeth Badinter. Colette était-elle une femme libre ? Assurément oui, au vu de son dossier. Gabrielle Colette est née le 28 janvier 1873, de Jules Colette, ancien militaire, et d’Adèle Sidonie Landoy, son épouse. Adolescente, elle se jette au cou d’Henry Gauthier-Willard, dit Willy, vieux polisson expert en fantaisies lascives. Sous sa férule, elle rédige la série des Claudine.
Elle s’en évade pour Natalie Clifford Barney, dite Flossie. Puis se met en ménage avec Mathilde de Morny, dite Missy, ou bien Oncle Max. Elle entame avec elle une brève carrière d’intermittente du spectacle au Moulin Rouge. Elle convole ensuite avec Henry de Jouvenel, dit Sidi, puis jette son dévolu sur Bertrand, le fils de ce dernier. Qu’elle abandonne au profit de Maurice Goudeket. Cougar avant l’heure, elle avait rencontré, à la cinquantaine, ce jeune courtier en perles dans le salon de Andrée Bloch-Levalois, dont il était l’amant. Ils finiront par se marier en 1935, seul moyen pour occuper la même cabine à bord du Normandie, lors de sa croisière inaugurale. Elle trouvera avec ce dernier époux une apparente stabilité affective. Sur la fin de sa vie, elle conclura : «il y a deux sortes d’amour, le satisfait qui rend idiot, l’insatisfait qui rend odieux». Entretemps, elle aura écrit quelques livres. Nadine Trintignant lui consacrera, en 2004, un téléfilm. Avec de notables entorses à l’exactitude biographique, revendiquées comme moyen de «s’approcher le plus près possible du personnage». Liberté de la création….
Danièle et Christopher Thompson, dans une démarche similaire, viennent de s’attaquer à Brigitte Bardot. La série (France 2) se propose d’illustrer «une liberté sans filtre, il y a soixante-dix ans, et l’émoi mondial qu’elle a provoqué en tant qu’icône». L’accroche publicitaire de ce biopic montre Julia de Nunez, à qui échoit le rôle titre, cheveux ébouriffés, lèvre boudeuse, regard lourd, épaule nue, émergeant d’un drap froissé. D’emblée, la liberté se place sous l’évocation du plumard. À l’instar de feu Jean-Philippe Smet, Brigitte Bardot bénéficie de l’adjectif «national». On dit toujours «notre BB nationale». Un tel privilège lexical marque bien son accession au rang de mythe, et justifie ce feuilleton télé en 6 épisodes.
En 2010, Boulogne Billancourt, cité du cinéma, avait consacré à la dame une exposition, pour son soixante quinzième anniversaire. Le cinéma italien occupait le panorama de l’immédiat après-guerre grâce à ses actrices de style mammaire, comme Sophia Loren ou Gina Lollobrigida. Les esthètes d’un certain âge avaient pu remarquer, sans voile aucun, les somptueux globes de l’immortelle Sophia dans le trop oublié chef-d’œuvre « Quelles drôles de nuits » (en Italien Era lui,si,si) tourné en 1951. Brigitte Bardot va permettre au cinéma français de supplanter le transalpin. Le film « Et Dieu…créa la femme » (1956) la consacre vedette callipyge. «Tu seras un jour le rêve impossible des hommes mariés», lui prédit son Pygmalion, Roger Vadim.Pour remplir un tel cahier des charges, sa chute de reins la dispensera, par surcroît, de devoir jouer juste. Son personnage de ravissante idiote fera un tabac, face à Jean Gabin, dans « En cas de malheur » de Claude Autant-Lara (1958). Il est regrettable que, dans le passage où elle lui montre ses cuisses, un plan de ses fesses ait été coupé au montage. Elles prendront leur revanche dans « Le mépris », de Jean Luc Godard (1963). Mais n’ayons pas peur du sacrilège, l’engagement en faveur des animaux restera son meilleur rôle.
Devenue symbole sexuel, l’opinion publique va lui prêter une vie dissolue. On la fantasme, baguenaudant seins au vent et fesses à l’air, cueillant les phallus comme d’autres les marguerites, dans la campagne environnant Saint-Tropez. Dès lors, les paparazzi ne vont plus la lâcher, avides de saisir la scène en clichés volés. Fatalement, la rétrospective boulonnaise comportait la classique évocation de ses conquêtes, maris, amants…Y compris Serge Gainsbourg, objet d’une passade de trois mois, ayant donné naissance au futur tube « Je t’aime moi non plus ».
Visitant l’exposition, deux retraitées évoquaient leur jeunesse : «T’en souviens tu, adolescente tu voulais ressembler à BB.» «C’était mon vœu le plus cher !» «Eh bien maintenant il est accompli, tu lui ressembles !» Il suffisait d’attendre.
Jean-Paul Demarez
Source photo: Gallica/Agence Mondial
Belle chute…de reins.