Du rififi à Anvers

La nouvelle série sur Netflix «Diamants bruts» («Rough Diamonds») se situe dans le milieu des diamantaires à Anvers, au sein de la communauté juive hassidique. Si l’on sait que le hassidisme représente un courant mystique du judaïsme fondé au 18e siècle en Pologne et que des juifs d’Europe de l’Est sont arrivés massivement à Anvers au lendemain de la Shoah, cette histoire demeure entourée de mystère. On ne s’étonnera pas de savoir que des transfuges de la célèbre série israélienne «Fauda», Rotem Shamir et Yuval Yefet, sont à l’origine de la série anversoise, et bien heureusement, le contexte ne se prête pas à la même politisation ni à la même violence. Les auteurs israéliens nous content les heurts et malheurs des Wolfson, illustre famille ultraorthodoxe de diamantaires, luttant pour préserver leur statut «dans l’honneur» alors que les dangers s’accumulent, à l’intérieur du clan comme à l’extérieur.

Tout commence par le suicide du plus jeune fils. Il s’éveille à l’aube, revêt le tallit, la chemise blanche à franges, sous une redingote noire, coiffe ses papillotes d’une kippa noire sous un grand chapeau de feutre noir, sort de chez lui alors que sa femme et ses deux enfants dorment encore, parcourt les rues désertes, arrive aux bureaux de «Wolfson Diamonds», murmure en hébreu la prière «Schema Israel» («Écoute Israël»), saisit le revolver d’un garde et se tue.

Au cimetière, parmi la foule en costume rituel, toutes et tous en noir, un costaud blond aux yeux bleus, un intrus en blouson de daim beige et jeans, tenant son fils par la main, fait sensation : Noah le renégat (l’acteur anversois Kevin Janssens), ayant renié la famille et les diamants, parti vivre à Londres il y a quinze ans, s’impose près de la tombe. Lors de la réunion qui suit les funérailles, il découvre peu à peu la situation. Son père refuse de lui parler, mais son frère Eli (excellent Robby Cleiren né à Anvers) le renseigne du bout des lèvres : «Ton frère Yanki, qu’il repose en paix, aimait parier, aux courses, au jeu, à tout.» Sa sœur Adina (Ini Massez, actrice belge) lui en apprendra plus : «Papa ne sait rien. Nous avons perdu presque tous nos clients. Nous sommes devenus trop petits.» Alors comment rembourser les dettes du jeune frère suicidé et sauver l’honneur des Wolfson?

Noah le renégat croit régler la situation en employant la manière forte, très forte même, pour solder la dette de son frère auprès d’un vil bookmaker, puis s’apprête à rentrer à Londres avec son fils. Mais il y a plus grave : il faut aussi apurer les comptes auprès du diamantaire Fogel, alors que «les deux familles sont amies depuis quarante ans». Yanki lui devait un million cinq en euros à la suite d’une transaction frauduleuse. En costume cravate mais coiffé de la kippa, l’œil bleu aigu, l’héritier des Fogel (le comédien français Vincent Londez) se montre implacable, et donne aux Wolfson un délai de quatorze jours. Alors au dernier moment, juste après que sa sœur Adina lui dise «la famille, c’est très puissant», Noah reporte son retour à Londres. Au fond, tous les espoirs du clan reposent sur lui.

Scénario habile, multiples rebondissements, nous sommes bien dans un polar, mais aussi dans un milieu bien particulier quasi historique et sur le déclin, symbolisé par la mort du chef de famille : shabbat du samedi avec ses traditions culinaires (partage du pain hallah, etc.), splendide scène de la synagogue avec les larges chapeaux en fourrure coiffant la tête des hommes à papillotes en redingote, et bien sûr, marieuse officiant désormais sur Internet, non-dits familiaux en cascade, rivalités en tout genre. Parallèlement, pour corser le polar, imbroglios avec la police anversoise, puisqu’une procureure pugnace, s’attaquant à la mafia albanaise de la drogue, s’en prend au clan Wolfson qu’elle menace de dénoncer.

Vincent Londez, l’implacable héritier des Fogel, acteur français installé à Bruxelles, souligne que le tournage a bien eu lieu au sein de la communauté hassidique d’Anvers, sous leur supervision rigoureuse, mais parmi les plus ouverts, car les autres étaient opposés à leur présence : «Les comédiens devaient parler le flamand, le français, le yiddish et l’anglais. J’ai appris plein de choses. Notamment que les hassidim sont maintenant supplantés par les Indiens dans le commerce des diamants.»

C’est peut-être le point fort de la série : donner envie d’en savoir davantage sur cette odyssée. Ainsi commencera-t-on par apprendre, ô surprise, que la «Jérusalem du Nord» fut fondée en 1526 par des juifs sépharades chassés du Portugal. Et que si l’âge d’or des diamantaires juifs anversois a culminé entre 1950 et 1980, la communauté hassidique demeure l’une des plus importantes au monde (après New York et Israël notamment).

 

Lise Bloch-Morhange

Série Netflix « Diamants bruts », huit épisodes.

 

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Une réponse à Du rififi à Anvers

  1. germain dit :

    c’est une série très bien menée et mon ressenti est proche de ce commentaire.
    En revanche pour une fois la communauté Hassidique n’est pas ridiculisée et semble intéressante bien que hors du temps .

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