Espoir et résignation, joie et peine, calme et tempête, fortune et misère, union et déchirements, … la vie, en somme. Elle bouscule la bande d’artistes réunie sous nos yeux. Ils sont véritablement là devant nous, des comédiens devenus leurs personnages, leur cercle s’est juste un peu élargi pour nous laisser entrer dans leur intimité, nous laisser partager un moment d’histoire. Plongée au 19e siècle, à Montmartre. Nous sommes chez Auguste Renoir, en 1877. « Un soir chez Renoir », c’est tout sobrement le titre de cette pièce présentée du 3 mai au 11 juin par l’impeccable Lucernaire. Une réussite, un moment simple et efficace. Une rencontre avec les femmes et les hommes derrière les artistes, une immersion dans la bohème artistique avant le culte mondial voué à l’impressionnisme.
La bande se cherche d’ailleurs un nom. Il y a là outre Auguste Renoir qui reçoit, Berthe Morisot, Claude Monet, Edgar Degas, … et Émile Zola, qui n’est encore «que» journaliste mais «devr(ait) écrire des livres» lui conseille Degas. Paul Cézanne, Gustave Caillebotte ou Alfred Sisley sont excusés. Pour le nom collectif, pourquoi pas «les impressionnistes», et d’ailleurs on les appelle déjà comme cela, même si ce n’est pas flatteur à ce moment-là de l’histoire. «Pour ce qui est de la netteté, il y a maintenant la photographie», plaide Morisot. Et puis, ajoute Zola, «la technique on s’en fout, ce sont les sujets qui comptent». Deux bouts de dialogues représentatifs d’un texte qui sonne juste, fait de dialogues du quotidien de passionnés de leur sujet pictural. «Si les tétons n’existaient pas, je ne peindrais que des paysages», prévient Renoir. La nature est bien faite.
Ces exaltés préparent une nouvelle exposition, sorte de nouveau pied de nez au Salon officiel, celui de l’art qu’ils considèrent comme antique, convenu, dépassé. Mais jouer au rebelle, prétendre au renouveau, au réveil, c’est bien joli, mais cela ne nourrit pas (encore) son homme. Peuvent-ils abandonner, doivent-ils persévérer ? «Le fait qu’on nous critique montre qu’on avance, avant on faisait rigoler maintenant on fait peur», clame Degas. Alors fatalement tous les prétendants à l’insurrection artistique ne sont pas sur la même longueur d’ondes. «Je n’insinue rien, j’accuse», s’emporte Zola face à la contradiction. Encore une ligne de l’auteur Cliff Paillé, qui signe également la mise en scène (voir l’appel à témoins en bas de page). Pas de temps morts ici, ou alors opportuns, chargés de vacarmes intérieurs. Le décor évoque l’atelier de peinture, comme la table de repas commun, quand il faut encore compter les légumes et surtout le poids de la viande. Tous les comédiens sont convaincants, ils transportent à l’aise le spectateur (déjà) un siècle et demi en arrière.
Cliff Paillé assure n’avoir surtout pas voulu présenter un documentaire sur l’impressionnisme. Modestie sincère mais vaine, nous sommes bien au cœur de l’Histoire, par le petit bout de la lorgnette. C’est un documentaire de voyage sur la face cachée de la lune, pas en pleine lumière, on observe la toile sans cadre doré.
Un délicieux moment de théâtre proposé par la compagnie Hé Pssst, déjà remarquée avec le même auteur et metteur en scène notamment grâce à « Chaplin, 1939 », pièce autour de la création d’un certain « Dictateur », ou de « Madame Van Gogh », autour de Johanna, l’épouse de Théo, frère de Vincent.
Et quel plaisir de retrouver le cocon du Lucernaire, toujours à deux pas des Jardins du Luxembourg. Vous y prendrez en sortant une séance d’impression, soleil couchant. Plus tôt, vous pourrez également (re)découvrir Impression, soleil levant, le vrai, l’originel, l’éponyme même, au Musée Marmottan. Et/ou filer au Musée d’Orsay sans doute bondé pour refaire le match Manet / Degas. Un soir chez Renoir, ce n’est pas que du théâtre, c’est aussi une invitation. À revoir les couleurs impressionnistes, la vie quoi.
Byam
« Un soir chez Renoir », du 3 mai au 11 juin au Lucernaire