Un dollar pour une asperge à la Monnaie de Paris

C’est presque à chaque fois pareil. On se rend à l’Hôtel de la Monnaie afin de profiter de la dernière exposition et finalement, c’est l’édifice si raffiné du 18e siècle, œuvre de l’architecte Denis Antoine (1733-1801) sur le quai Conti, qui emporte le match. Le dollar de Andy Warhol, peint en 1981 à l’acrylique (ci-contre), a beau occuper toute une pièce et même au delà grâce à un effet de miroir, le regard ne peut s’empêcher de glisser vers les magnifiques lambris, les portes, les fenêtres, les planchers de bois ou de pierre, les fenêtres ou encore la vue sur la Seine finement filtrée par des rideaux blancs. C’est sans conteste un lieu merveilleux où il ferait bon habiter, où l’on passerait au gré de nos humeurs de pièce en pièce, d’une chambre à une autre chambre, d’une grande réception à l’un des salons cosy. C’est donc presque facile d’y réussir une exposition tellement les aîtres invitent à la bienveillance. Y compris devant l’œuvre de Bertrand Lavier consistant à superposer un coffre-fort et un réfrigérateur, ensemble censé faire référence au « geste duchampien du ready-made » et, aussi pour faire bonne mesure, « à la réflexion de Constantin Brancusi sur une continuité formelle entre la sculpture et son socle ».

Les organisateurs ont vu grand en ce qui concerne l’angle d’approche puisqu’il s’agit de revisiter pas moins de vingt siècles de l’histoire de l’Art combinant les rapports complexes entre l’art et l’argent. Sur l’affiche il a été finement titré « art-gent » avec un tiret au milieu afin de bien faire passer ce poilant jeu de mots auprès des esprits lents. Une décomposition lexicale qui ouvre la voie à nombre de futures expos du moment que les trois lettres du début restent les mêmes.

Sur vingt siècles il y avait de quoi faire et il semble que le seul fil chronologique a servi de fil directeur. Et l’on peut à l’évidence passer du très contemporain à l’œuvre antique avec une souplesse et une tolérance dont on s’ignorait porteur. Par exemple devant les deux autoportraits de Tracy Emin où elle se présente les jambes écartées avec de l’argent s’échappant de son ventre, dans une crudité charnelle voulant rappeler l’œuvre de Egon Schiele. C’est du moins ce qui est indiqué sur la notice, laquelle précise également que le travail de l’artiste a un rapport avec le fait qu’elle a été abusée sexuellement dans son enfance. Ce faisant Tracy Emin nous explique-t-on, « revendique un droit féministe à disposer de la représentation de son propre corps ». Dans le genre parfaitement contemporain on ne manquera pas non plus une pile de centimes d’euros représentant la somme de 27,48 euros. La pile va du sol au plafond et sa fragilité est porteuse de symboles comme la chance ou la bonne fortune. Un gardien veille à éviter qu’un visiteur mal luné lui décoche un coup de pied.

Cela fait un peu bizarre ensuite de se retrouver devant une petite toile de Manet représentant une seule asperge alors que le collectionneur Charles Ephrussi lui avait, en 1880, demandé une botte. « Il manquait une asperge à votre botte », commenta Manet au collectionneur avant d’encaisser 1.000 francs soit 200 de plus que convenu. L’anecdote est plaisante et même légère dans la mesure où elle n’est porteuse d’aucun concept lourd ou de références à un quelconque maître. L’asperge n’est rien d’autre qu’une asperge valant approximativement un dollar warholien et le tout s’accompagne d’une gentille blague destinée à faire passer l’addition. Dans le répertoire classique ici exposé, il faut également mentionner quelques maîtres flamands,  ainsi qu’une bien intéressante peinture montrant la Bourse parisienne en construction par Étienne Bouhot (1780-1862).

De même que l’on marquera le pas devant une poterie de cinq siècles avant notre ère. Elle ne manquera pas de faire ricaner puisqu’elle est attribuée à Hiéron pour le contenant et à un certain Makron pour des motifs peints un brin érotiques, présentant d’élégantes hétaïres avec leurs clients.

Il n’y qu’au sous-sol bien sombre que l’agrément des lieux n’opère plus. Heureusement qu’il s’y trouve l’extrait d’un film où Dali est interrogé sur la question grisbi. Les organisateurs ont à l’évidence choisi le meilleur passage où Dali nous explique que son amour de l’argent le rend avare ce qui fait que dans le même temps  son « complexe anal rétrécit ». La dérision est toujours la bienvenue puisque qu’en bas comme en haut de l’hôtel on croise surtout des cerveaux de l’art ou de la critique d’art, suspicieux et susceptibles, occasionnant en nous quelque raidissement instinctif.

Comme lorsque l’on songe à Charles le Chauve qui a créé la Monnaie de Paris, le 25 juin 864. C’était un Carolingien né en 823, mort en 877 et par ailleurs petit-fils de Charlemagne. Un pedigree de haut lignage qui force le respect. La Monnaie de Paris faisant de surcroît figure d’une des plus anciennes entreprises dans le monde encore en activité, on ne pourra que s’enorgueillir de déambuler dans son dernier logis.

PHB

« L’argent dans l’art » jusqu’au 24 septembre, La Monnaie de Paris, 11 Quai de Conti, 75006 Paris

Photos: ©PHB (on aperçoit ci-contre le frigo juché sur le coffre-fort)
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Une réponse à Un dollar pour une asperge à la Monnaie de Paris

  1. JEAN PAUL DEMAREZ dit :

    Salvador Dali, surnommé par André Breton de l’anagramme Avida Dollars…

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