Le 6 octobre 1789, les Parisiens ramenèrent de force à Paris leur roi, sa femme et leurs enfants. Les revendications sur le prix du pain et la méfiance vis-à-vis du roi qui avait rappelé auprès de lui le régiment de Flandre avaient provoqué cette irruption violente du peuple à Versailles et la conduite sous escorte de la famille royale au Palais des Tuileries, au cœur de la capitale. L’événement intervenait après des mois d’agitation au cours desquels le pouvoir de la monarchie avait déjà été sérieusement ébranlé : transformation des États Généraux en Assemblée nationale, puis en Assemblée constituante, prise de la Bastille, abolition des privilèges. Louis XVI et Marie-Antoinette, désormais placés sous surveillance, ne reverront jamais Versailles. Pendant trois ans -mille jours-, c’est aux Tuileries que, de maladresses en irrésolutions, le roi verra s’atrophier jour après jour, puis disparaître de façon tragique le pouvoir et la monarchie millénaires dont il avait hérité. L’histoire s’incarne dans des lieux et non dans des livres. Le palais des Tuileries n’existe plus aujourd’hui car incendié par la Commune de Paris en 1871 et finalement jamais reconstruit, mais il restera une scène majeure de l’histoire de France. Pendant trois, ans, c’est à huis clos que s’y jouent les derniers moments d’une monarchie, mais aussi d’une famille entourée de ses derniers fidèles : domestiques, gardes suisses, proches comme le comte de Fersen, ami de la reine et aristocrate suédois.
Inexorablement, au fil des mois, les marges de manœuvre de Louis XVI s’étiolent. À l’extérieur du Palais, la pression de la rue, ses déferlements de violence et de barbarie se font de plus en plus menaçants et le climat de plus en plus pesant, surtout après la tentative de fuite arrêtée à Varennes et les provocations du Duc de Brunswick. Au quotidien, le roi et la reine doivent se méfier de tout et de tous, car ils savent qu’ils sont espionnés. Entre personnes de confiance, on s’échange des lettres, mais pour prévenir leur interception, on en code les messages ou on les masque par un savant caviardage.
L’exposition actuellement proposée par les Archives nationales, « Louis XVI, Marie-Antoinette et la Révolution -La famille royale aux Tuileries (1789-1792) », présente une série d’objets provenant de leur propre fonds, mais aussi d’autres institutions comme les Archives royales de Suède, le musée du Louvre, la BnF, le château de Versailles, le musée Carnavalet, la Fondation de Chambrun, ou le château de Morges en Suisse. L’ensemble présenté permet de comprendre et de ressentir l’atmosphère de cette fin de la monarchie : des objets du quotidien, car la vie continue et l’on tente de se constituer un cadre confortable qui permet de maintenir un semblant de normalité au cœur du drame qui se joue, mais surtout des lettres.
Un projet de recherche a permis récemment de déchiffrer les correspondances codées ou masquées échangées par le couple royal avec ses soutiens. Certaines de ces lettres sont présentées par l’exposition. C’est la première fois qu’elles sont accessibles au public. Leur lecture est émouvante. Ainsi, ce message du Comte de Fersen à Marie-Antoinette, daté du 10 août 1792, jour de la prise du palais des Tuileries par la foule des Faubourgs, du massacre des gardes suisses et de la chute de la monarchie: « Mon inquiétude pour vous est extrême. Je n’ai pas un moment de tranquillité et je n’ai de consolation que de voir mes inquiétudes vivement partagées par Monsieur de Crauford, qui n’est occupé que de vous et des moyens de vous servir, et par Madame Sullivan, qui ne cesse de penser à vous, de pleurer sur votre sort et de faire des vœux. Son attachement pour vous est vraiment touchant et c’est ce qui me la fait aimer. Nous pleurons souvent ensemble, je ne vis qu’avec ces bonnes gens. Je regrette bien que vous ne soyez pas sortis de Paris. »
Au-delà des lettres (comme celle de Marie-Antoinette à Fersen en 1791, ci contre), l’exposition présente aussi des plans qui aident à se représenter cette prison dorée qu’était devenue le Palais des Tuileries. Sa vulnérabilité aussi. Le trajet des émeutiers venus des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marcel le 10 août, ainsi que celui de la sortie de la famille royale partie se réfugier dans la salle du manège, siège de l’Assemblée, ont été matérialisés sur une carte. Après cette journée sanglante, la famille royale sera internée à la prison du Temple, avant la fin que l’on sait. Le palais des Tuileries est aujourd’hui une esplanade vide. L’histoire est du temps qui passe sur la géographie.
David Clair