Jusqu’au 8 mai 2023, à la BPI de Beaubourg, une exposition Serge Gainsbourg, s’intitule «Le mot exact». Le but ? Faire comprendre que «les petites conneries» qu’il écrivait, ressortant, selon lui, d’un «art mineur» n’en étaient pas moins le produit d’un travail d’artisan littérateur. Les manuscrits, tapuscrits mis en vitrines, quelques ouvrages issus de sa bibliothèque dévoilent une partie de ses sources d’inspiration. Il part de la sonorité des mots, «du titre, qui lui donne le poème, et par le découpage de la versification, conduit à la structure musicale de la mélodie». Il associe la rime complexe, en français choisi, à l’argot, aux anglicismes, aux onomatopées, sans limites aux mélanges. Sur les 550 chansons identifiées, les deux tiers ont été écrites pour d’autres que lui, mais, à chaque fois, on reconnaît son style. À côté de ce matériel documentaire, quelques objets personnels : cannes, couverts de table, une paire de ses emblématiques chaussures Repetto (ci-dessus), un curieux bar de voyage (autant dire une trousse d’urgence).
Alignées comme à la parade, des cartes de membre de divers night-clubs, diplômes de noctambule. Nombreux extraits de journaux, témoignant de ses excentricités les plus marquantes: à ne pas manquer si l’on est Gainsbourophile, ou thésard travaillant sur son œuvre. Il convient de retenir qu’il s’agit d’une des personnalités les plus marquantes de la variété du XXème siècle, ayant aspiré comme personne l’air du temps. Parmi tous les interdits auxquels il s’est confronté, il reste le seul à avoir osé rire du nazisme : « Rock Around the Bunker » (1), un opus bizarre boudé par la critique. Il est des sujets plus tabous que le sexe. Sa vie traquée sous l’Occupation, répliqua-t-il aux esprits chagrins, «l’autorisait à se permettre la plaisanterie».
La carrière de Serge Gainsbourg va se jouer en trois actes : styliste confidentiel- dandy décadent- pitre lugubre. À l’acte 1, il tape le piano dans les cabarets Rive Gauche, prosodigitateur talentueux. L’esthétique torturée de ses textes tordus tient l’amateur en attention. Le public, lui, préfère Dario Moreno ou André Claveau, les vedettes du moment. Les disques de Gainsbourg s’empilent dans le rayon des invendus, bide après bide. Quand soudain l’époque s’ouvre sur la période yéyé. Il décide alors de quitter le style germanopratin, de se lancer dans l’alimentaire en produisant pour autrui….
Acte 2, ayant retourné sa veste, il la constate doublée de vison. Auteur compositeur attitré des sixties, il transforme des rimes à deux balles en gros tas de thunes. Reprenant le procédé des rengaines à double sens, très en vogue en 1900, au café concert, il se complaît à faire chanter des cochonneries cryptées par des nymphettes nunuches. Il débute ainsi dans les chansons provocatrices qui deviendront son image de marque. Il passera à l’explicite par sa période Jane Birkin. La condamnation de «Je t’aime, moi non plus», version radiophonique d’un coït, par l’Osservatore Romano (quotidien du Vatican), en fera un succès planétaire. Dès lors, la muse l’habite. Il récidive avec «La décadanse», baptisé slow à l’envers, que les critiques s’efforceront de ne pas voir en éloge de la sodomie. Il recherche les transgressions médiatiques, appuie où ça fait mal à la bienpensance. Sa version reggae de la Marseillaise fait sursauter les paras. Une salle de concert est mise à sac. Édito assassin du journaliste Michel Droit, limite antisémite. Réponse de l’intéressé par voie de presse : «on n’a pas le con d’être aussi Droit.» Gainsbarre commence à percer sous Gainsbourg
Et c’est l’acte 3, quand Gainsbarre se bourre, Gainsbourg se barre. Il se fabrique un personnage aimé des p’tits gars et des p’tites pisseuses. Le genre vieil oncle punk. Uniforme assorti : jean délavé, Repettos blanches, veste blue navy, chemise ouverte sur son poitrail malingre. Trublion de plateau, rebelle de comptoir, il multiplie les agressions médiatiques. Il se met à décader comme un malade. Un soir, il brûle en direct les deux tiers d’un billet de cinq cent francs. Démonstration par l’exemple de la rapacité fiscale dont il est victime. Effarement de l’opinion publique. Il a osé attenter au pognon !!! Après les cathos, les pudibonds, les patriotes, va-t-il se mettre à dos les pauvres ? Non, après s’être offert pour pas grand-chose une couverture presse inouïe, il se fend d’un chèque mahousse aux Restos du cœur, la bonne œuvre dans le vent.
Sur la fin il disait un peu n’importe quoi, des vannes pré-séniles, genre pipi-caca. Son avatar était devenu sa vraie nature. Le rôle de décomposition avait fini par l’imploser. Sa mort, le 2 mars 1991, à 63 ans, après plusieurs alertes cardiaques, lui aura évité l’acte 4, le naufrage de l’épave. Affligé d’un physique difficile, Gainbourg compensa en s’affichant avec les plus belles. L’amour, on le sait, est aveugle. «Et sa canne est rose bonbon», se plaisait-il à ajouter.
Jean-Paul Demarez
Prosodigitateur lui va si bien !
Bel et juste article.
J’aime bien Gainsbourg mais c’est l’arbre qui cache la forêt…
De Maurice Fanon à Jean-Claude Vannier… De Colette Magny à François Béranger…
Quand fera-t-on le bilan de la chanson « rive-gauche » où Gainsbourg s’est formé… Avant de s’électriser… De Bernard Dimey à Catherine Ribeiro… De Jean Vasca à Jacques Debronkaert… Sans oublier Pia Colombo, Brigitte Fontaine..
Et je n’oublie pas nos cousins québécois…
Qu’on n’écoute pas en boucle que le plus malin d’entre eux. Celui qui procédait de Philippe Clay et de Boris Vian et qui a ouvert ses grandes oreilles à toutes les musiques.. Comme Salvador… Comme Nougaro qu’on oublie trop et Higelin qu’on ferait bien de ne pas oublier…