Un palais épiscopal pour un musée d’art moderne

Juste au dessus de ce portrait de femme exécuté par Jean Metzinger, figure une phrase de Guillaume Apollinaire disant que le « cubisme est l’art de peindre des ensembles nouveaux avec des éléments empruntés non à la réalité de la vision mais à la réalité de conception ». Jean Metzinger (1883-1956) était un ami d’Apollinaire et il avait écrit comme lui, en collaboration avec un autre ami tiers Albert Gleizes, une définition du cubisme. Ce qui est marquant lorsque l’on parcourt la partie rénovée du musée d’Art Moderne de Troyes, c’est qu’Apollinaire est partout, suivant une trajectoire complexe comparable à une boule de billard. C’est l’une des bonnes surprises de cette réouverture partielle après quatre années de travaux. Les visiteurs peuvent à nouveau pousser les portes de ce palais épiscopal au charme implacable. Il est toujours réconfortant de constater qu’une ville de province sait mettre les moyens afin de proposer à ses habitants comme aux touristes, une offre culturelle substantielle venant s’ajouter à un patrimoine local déjà bien consistant.

L’histoire de ce musée est due à l’industriel du textile Pierre Lévy (1907-2002), lequel avec son épouse Denise (1911-1993), fut un grand collectionneur d’art. Afin de compléter leur sensibilité artistique, le couple s’était fait conseiller dans ses achats par l’artiste troyen Maurice Marinot ainsi que l’artiste André Derain, ami de qui vous savez. Il a résulté de cette passion une collection hors normes rassemblant quelque 2.000 œuvres. De très nombreuses peintures, dessins, sculptures et objets d’art ont été donnés en 1976 à la ville de Troyes, là où Pierre Lévy avait ses activités. Un ensemble si riche qu’il avait fait l’objet d’une exposition à Paris en 1978 à l’Orangerie.

En attendant la réouverture complète, en fin d’année nous a-t-on dit à l’accueil en croisant les doigts, « l’acte I » tel qu’il est annoncé vaut déjà largement le déplacement. On ne manquera pas le projet en trois dimensions de monument à Guillaume Apollinaire par Ossip Zadkine (1890-1967-) réalisé dans les années trente. C’est le deuxième projet avec celui de Picasso qui n’a pu trouver sa place quelque part dans Paris. Alors qu’à côté du square Guillaume Apollinaire figure (en face du café des Deux Magots) une grande sculpture de Zadkine et une autre tout à fait remarquable, « le Messager », à l’angle du Quai d’Orsay et du Pont des Invalides. Peut-être quelqu’un un jour se décidera à le faire.

Un peu obscure peut-être comme souvent chez Zadkine, la sculpture restée à l’état de projet a son magnétisme. Si on les lève les yeux, juste au-dessus de ce portrait, on aperçoit en perspective directe la parfaite toile de Robert Delaunay « Les Coureurs », réalisée en 1924. Elle fait partie des morceaux de choix du musée avec « L’atelier » de Raoul Dufy. Les deux sont dans un état de fraîcheur étonnant et partagent également une science des couleurs qui ne cesse d’étonner même si on les a déjà vues plusieurs fois. Certaines toiles anciennes sont presque plus agréables à regarder sur du papier glacé qu’en réalité en raison de la brillance ajoutée, mais là c’est l’inverse, la symphonie colorée n’a rien perdu, ni de son énergie ni de sa magie.

Côté sculptures, outre Zadkine déjà nommé, le musée cèle au moins deux surprises. D’abord une tête de femme provençale monumentale avec son fichu, taillée entre 1911 et 1912 par Auguste Chabaud (1882-1955). Son côté massif impressionne et interpelle également en ce qu’elle n’est pas sans faire penser à l’art antique pour le visage et en raison de son socle pyramidal. On ne sait pas si elle correspond à un coup de cœur de Pierre Lévy, de sa femme ou l’un de leurs deux conseillers, mais son caractère figé dans la pierre, pondéral, oblige à marquer un arrêt impérieux.

Il ne faut en tout cas pas rater une petite peinture intitulée « Le départ » par Jacques Villon (1875-1963). Modeste par sa taille elle vaut néanmoins le coup d’œil. Exécutée en 1954, elle représente un avion sur le départ avec des ailes diluées dans le vert et une carlingue jaune dont le ventre rouge reflète celui de la piste. L’artiste a réussi ce tour de magie nous laissant croire que toute l’image vibre, du bruit des moteurs et jusqu’au souffle que l’on devine. Sans être une star de la collection c’est une ode au décollage, une invitation à larguer les amarres, aussi délicate qu’éblouissante. Elle intégrera le manège enchanté qui persistera sans doute à tourner dans le souvenir des visiteurs, bien après le retour Gare de l’Est.

PHB

Musée d’Art Moderne, collections nationales Pierre et Denise Lévy, place Saint-Pierre, Troyes

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Photos: ©PHB
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2 réponses à Un palais épiscopal pour un musée d’art moderne

  1. Réussies ou ratées, pas de demi mesure pour les sculptures ou peintures de Chabaud !
    Dommage qu’il n’y ait pas au moins une oeuvre peinte de lui en ce musée.
    Quel artiste !

  2. Yves Brocard dit :

    Bonjour,
    Merci d’attirer notre attention sur ce musée. Je signale le site https://www.flickr.com/photos/26095468@N04/albums/72157625571512765 où le Dr.-Ing. Heinz Theuerkauf, passionné d’architecture et de musées, présente pas moins de 326 photos des collections du musée de Troyes. Cela permet de voir l’impressionnant avion de Jacques Villon au décollage, et bien d’autres choses. Une collection de grande qualité. Mais rien de tel que d’aller le voir sur place…
    Bonne journée.

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