Le 6 mars 2022, c’est un homme apaisé qui, treize années après sa parution, met un point final à son autoportrait littéraire “L’Intranquille” (2009). Gérard Garouste précise néanmoins “Disons tranquillité du peintre, pas de l’homme. Mais à mon âge (ndlr 76 ans), on est comme l’arbre qu’il faut élaguer pour qu’il reste fort, on va à l’essentiel. En vieillissant, finalement ma vie se simplifie.” Cet “autoportrait d’un fils, d’un peintre, d’un fou”, comme il est sous-titré, il l’avait rédigé à la mort de son père, telle une délivrance, y révélant concomitamment l’ignominie paternelle et sa propre instabilité psychique, l’une n’étant probablement pas étrangère à l’autre. “L’enfance et la folie sont à mes trousses. Longtemps je n’ai été qu’une somme de questions”, confie-t-il.
En 2022, l’artiste goûte enfin une certaine forme de tranquillité. Peintre, graveur et sculpteur à la renommée internationale, ses œuvres sont exposées dans les plus grands musées du monde, il a de quoi être serein de ce côté-là. Pas plus tard que l’année précédente, il présentait chez son galeriste parisien “Correspondances” (1), une nouvelle série de dessins et peintures en tout point remarquables dans lesquelles il invitait plus que jamais le spectateur à la réflexion, parsemant indices et clefs de compréhension dans ses toiles. Pour la plupart monumentales, celles-ci étaient l’aboutissement de trois longues années de travail et d’un double compagnonnage, d’une part, avec l’œuvre de Kafka et, de l’autre, avec le rabbin et philosophe Marc-Alain Ouaknin, grand spécialiste de l’écrivain tchèque avec lequel il étudie le Talmud.
Par ailleurs, la vaste rétrospective que lui a consacré le Centre Pompidou cet automne n’allait pas tarder à voir le jour. Cette magistrale exposition parcourait 50 années de peinture. Une peinture figurative toujours placée sous le signe de l’étude (recherche picturale des débuts, histoires issues de la mythologie grecque, grands récits littéraires tels “La Divine Comédie” de Dante ou le “Don Quichotte” de Cervantès, mais aussi textes fondamentaux du judaïsme rabbinique et, plus récemment donc, les écrits de Kafka). L’œuvre de Garouste y apparaissait alors dans toute sa fougue tel un dialogue incessant avec sa vie d’homme, l’un se nourrissant de l’autre et inversement. Car, comme dit le poète (2), “un peintre fait toujours son propre portrait”. “L’Intranquille” peut alors se voir comme le pendant littéraire de l’œuvre garoustienne.
Le livre s’ouvre sur la mort du père, vécue comme un soulagement par le fils. Henri Auguste Garouste était un marchand de meubles qui avait spolié les juifs pendant la guerre. En 1945, il avait été condamné à rembourser les établissements Lévitan qu’il avait dépossédés. “Il n’avait pas pu faire héros, alors il avait fait salaud.” lance sans ambages Gérard Garouste. Pour couronner le tout, aucun repentir n’était venu par la suite amoindrir la faute, la haine des juifs étant toujours la plus forte. Dans la vie privée, l’homme était un véritable tyran, terrorisant femme et enfant. Près de 200 pages plus loin, le livre se referme sur la rencontre de Gérard Garouste avec une arrière-petite-fille de Wolf Lévitan et un sous-main au cuir usé attendant d’être rendu par son détenteur en guise d’une improbable réparation. Mais la réparation réside sans doute ailleurs… Prenant à contre-pied l’antisémitisme familial, Gérard Garouste a épousé une juive, appris l’hébreu et étudié la Bible hébraïque, le Talmud et la Kabbale avant de se convertir, une fois grand-père, au judaïsme. Devenir juif était sans doute le meilleur moyen de boucler la boucle et de s’éloigner définitivement de l’antisémitisme paternel.
Dans son autobiographie, Gérard Garouste retrace son enfance, ses années d’internat au collège du Montcel où il se fit quelques amis pour la vie, ses études aux Beaux-Arts de Paris, ses débuts de décorateur au Palace, ses incursions au théâtre… Un parcours passionnant et atypique où le peintre n’hésite pas à se situer à contre-courant : “L’heure était à la rupture. J’étais en rupture avec la rupture. Je lisais la Bible et je fabriquais de la peinture à l’huile. Je cherchais le chaos des poudres sur la toile que je préparais à l’ancienne, quand ceux de mon âge faisaient de la photo, des installations, des performances. Je me tournais vers l’originel plutôt que l’original, tout ce que je découvrais, je voulais l’éprouver jusqu’au bout de moi-même, je voulais savoir ce qu’il y avait à l’intérieur des couleurs, des livres, des autres, de ma tête surtout.”
À 28 ans, à la naissance de son fils aîné, Gérard Garouste fait sa première crise de démence et est interné. Diagnostiqué maniaco-dépressif, puis bipolaire, le peintre raconte sans détour ses crises de délire et plongées dépressives à répétition. Si en 50 ans, il a appris à dompter ses troubles et sa femme Elizabeth, à jouer les garde-fous, cette maladie reste pour lui et sa famille une souffrance et une entrave à sa production artistique.
Ce récit de vie introspectif est aussi une réflexion passionnante sur l’art. En toute humilité, Garouste ne s’attarde ni sur sa réussite, ni sur ses faits d’armes telle la création de La Source (3), cette association favorisant l’épanouissement des enfants en situation de fragilité à travers la pratique artistique. Un livre magnifique, à l’image de son auteur. Bouleversant et indispensable !
J’avais lu d’un trait son livre à sa sortie. Un parcours dans la douleur et la jubilation vraiment extraordinaire !
Voici une critique qui va me diriger dès aujourd’hui chez le libraire. merci!
Ce nombrilisme lucide, mais exacerbé, ne vous a pas dérangé ?
Je rends hommage à sa femme Elisabeth, elle l’a soutenu, préservé, c est une femme remarquable, d’un point de vue humain bien sûr, mais aussi dans ses réalisations artistiques .