Le collectionneur de boîtes de sardines se nomme un clupéidophile. Le terme peut conduire à la méprise. Ainsi Internet, par approximation, renvoie t-il accidentellement sur des adresses improbables ayant le même suffixe, porteuses d’embrouilles avec la police. L’emploi du synonyme puxisardinophile est, à cet égard, plus anodin. La boîte de sardines affiche plus de deux siècles d’existence. Elle est devenue, grâce à la mécanisation, un produit populaire et bon marché. En souvenir de sa période montmartroise ou elle représentait l’essentiel de ses menus, Picasso produira, en 1948, une céramique intitulée «Trois sardines». Une sorte d’ex-voto.
Sardina pilchardus, de la famille des clupéidés, se présente comme un poisson de petite taille, au dos bleuté, au ventre argent. Elle se pêche de mai au début de novembre, afin d’être au mieux de son gras. Riche en omega 3, en vitamines B3 et B6, elle dispose d’un long potentiel de conservation, et comme le vin, se bonifie en vieillissant. Elle va acquérir, par maturation, une texture particulière, l’ayant fait qualifier de foie gras de la mer.
On lui connaît deux types de préparation, frite, ou le plus souvent, de nos jours, cuite à la vapeur. Si le bain conservateur est généralement l’huile d’olive, la mode de Bretagne exige l’arachide. Trois conditionnements disponibles, 69g, 115g, 230g. La plus petite des boîtes fait le plaisir du solitaire, la plus grosse constitue l’élément de base pour confectionner le «pâté de sardines à la Desprogienne». La recette de ce monument de notre gastronomie ouvre les chroniques culinaires du sus-dit (publiées entre septembre 1984 et novembre 1985, dans Cuisine et Vins de France). Il avait tenu à préciser : «Je méprise un peu ce plat, car je le trouve vulgaire, mais c’est très bon et ça en jette». Jadis gaucher contrarié, le garçon cultivait l’art du paradoxe.
La boîte de sardines, et là réside le moteur de la collection, présente une surface plane sur laquelle se vautre la marque commerciale prenant la responsabilité de sa mise sur le marché. Mais elle se prête volontiers à des commémorations diverses, lui assurant une grande variété picturale. Une mention particulière pour celle produite chaque année, à l’occasion du Festival des filets bleus de Concarneau. Relevons que cette cérémonie fut crée en 1905, pour venir en aide aux pêcheurs poussés à la misère par la raréfaction, cette saison là, de leur ressource halieutique.
L’être humain se rassemblant volontiers pour partager ses manies, il existe quelques associations célébrant la sardine. Citons le Bordeaux sardine club, à la fière devise «si fumer tue, la sardine conserve», ou la Confrérie de la sardine, fondée à Saint-Gilles-Croix de-Vie. Mais on se prend à regretter qu’un vaste mouvement fédérateur n’unisse pas ces bonnes volontés sporadiques et locales en une Association Française des Clupéidophiles (AFC). Elle aurait son siège à Douarnenez, haut lieu des luttes sardinières, où, en 1924, les ouvrières des usines de conserves remportèrent leur juste combat pour être payées à l’heure et non à la sardine. L’AFC élirait, chaque grande marée d’octobre, son Grand Maître, son Grand Argentier et son Prévôt d’Armes au sein de son Souverain Chapitre. Puis, tous les membres ayant revêtu leur tenue d’apparat, avec chapeau triangulaire et sautoir aux couleurs de l’emblématique poisson, seraient intronisés nouveaux chevaliers de la sardine. Et d’ailleurs, il est très probable qu’elle existe, cette AFC, dans l’ombre favorable des sociétés discrètes.
Elle a dû se constituer sous l’évocation de Nicolas Appert, inventeur de la conservation par la chaleur, et de ses deux continuateurs, Charles Désiré Rödel et Pierre Joseph Colin.
L’article premier de ses statuts préciserait sa finalité : « contribuer par tous les moyens à la connaissance et au développement de la clupéidophilie ». Lors des réunions bimestrielles, les membres se livrent à la dégustation de telle ou telle préparation : olive extra vierge semi-fruitée, olive et citron, chica-picha aux aromates, poivre vert, voire truffes et achards le jour de l’anniversaire de Nicolas Appert. Chacun détient une clé fendue d’une strie latérale, gravée à son nom. Ceci en mémoire de l’époque ou la boîte sertie s’ouvrait grâce à cet ustensile (la clef), aujourd’hui remplacé par le système Tirvite. Sont parfois débattus des points de dogme, comme les mérites comparés de l’emboîtage «en blanc» (ventre en l’air) ou «en bleu» (dos dessus).
Une scission s’est d’ailleurs produite au cours du fameux congrès de Quiberon, en 1923,
entre les anciens, exprimant la durée de la friture le temps d’un «je vous salue Marie» et les modernes, préférant un délai de 4 minutes d’horloge. Les uns travaillent désormais au rite ancien et accepté, les autres, d’obédience laïque, au rite dit rectifié.
Ce qui est dans l’ordre des choses.
Jean-Paul Demarez
Mais c’est bien entendu à Marseille que la sardine a bouché le port !
Même de bon matin, voilà qui ouvre l’appétit ! Du coup, cela m’a donné envie de revisiter la « Célébration de la sardine » de Guy Ganachaud que l’éditeur Robert Morel avait joliment empaquetée dans une jaquette cartonnée de couleur bleue…
Question qui me titille depuis des années : si l’on collectionne les boîtes de sardines, si on les ouvre, ont-elles moins de valeur que si on les « conserve » fermées. Et dans ce cas, que se passe-t-il un siècle plus tard ? Ne risque-t-on pas des explosions intempestives…
Bien que ça me titille de répondre à vos deux questions abyssales…
Petit complément : « Parallèlement, depuis 1987, il retourne chaque année dans son atelier d’été de Douarnenez, où la mer d’Iroise, le travail des vagues, la ville d’Ys engloutie et les sardines en boîte nourrissent son inspiration. »
Extrait de la biographie du peintre oupeinpien Tristan Bastit, piquée sur Internet.
Je reconnais bien là ta plume incisive et tellement cultivée!!!
Plusieurs boutiques se sont ouvertes, consacrées aux sardines, Dieu merci, elles ne sont pas encore renommées comme les « surmulots »…
A te lire…