Sur la petite scène du Mouffetard, devenu depuis peu Centre national de la marionnette, se jouait en novembre dernier un fort joli spectacle : “Suzanne aux oiseaux”. En ce début d’année, voici qu’après les dates parisiennes, celui-ci entame sa tournée. Adaptation fort sensible de l’album jeunesse éponyme de Marie Tibi et Célina Guiné (Éditions le Grand jardin, 2017), ce spectacle de marionnettes tout en poésie et délicatesse s’adresse en réalité autant aux grands qu’aux petits. Et si la lecture de l’album nous laissait la gorge nouée, sa version scénique, très réussie, est tout aussi poignante avec, en prime, une belle dose de fantaisie et d’humour. Drôlerie et nostalgie y font fort bon ménage. Créé et interprété par la comédienne et marionnettiste franco-britannique Emma Lloyd qui anime deux marionnettes portées à taille humaine, “Suzanne aux oiseaux” nous parle, entre autres choses essentielles, de la solitude, du temps qui passe, mais aussi et avant tout de l’amitié, de la force du souvenir et des sentiments qui perdurent par-delà la mort. Un spectacle d’une belle humanité.
Un banc de jardin en bois clair, un massif d’hortensias et un réverbère constituent le décor, simple et plaisant. Côté jardin, la comédienne se prépare, s’habillant à vue en vieille dame : perruque grise, grosses lunettes, fichu coloré noué sur la tête et élégant imperméable écossais dans les tons rouges avec caddie assorti et parapluie pour parfaire l’ensemble. Une voix off, celle d’un petit garçon, raconte et accompagne par moments la vieille dame, prénommée Suzanne, dans son rituel de promenade. Car tous les jeudis, celle-ci vient dans le même square s’asseoir sur le même banc au même endroit. Tous les jeudis, elle peine à faire franchir une marche à son caddie, s’arrête devant le réverbère, rouspète s’il ne s’allume pas, pique un petit somme sur le banc, puis parle aux oiseaux de son anglais volubile tout en leur jetant des graines à picorer. Parfois, l’écossais de son imperméable est jaune et noir et le caddie assorti en conséquence. Mais le rituel est immuable, Suzanne insatiable avec les oiseaux et sa solitude, infinie. “Suzanne parle, et les canards sortent du bassin. Ils veulent aussi écouter les histoires. Ils savent que la vieille dame a du pain rassis qu’elle garde pour eux. C’est comme ça chaque jeudi. Suzanne vient s’asseoir sur ce banc et parle aux oiseaux. Sauf quand il pleut. D’ailleurs, ces jours-là, les oiseaux non plus ne viennent pas.”
Mais un jour, Suzanne trouve un jeune homme installé sur son banc. Un jeune homme un peu perdu, un peu étrange. Ou plutôt étranger, comme elle. Ce jour-là, c’est à lui qu’elle parle. Et le jeudi suivant, et ceux d’après… Les semaines, les mois passent ainsi, peut-être des années… Une tendre amitié naît entre Suzanne et Nadim. Puis, un jeudi, Suzanne donne à son jeune ami une bague qui brille de mille feux. C’est un cadeau de son mari, ce qu’elle possède de plus précieux, elle n’en a plus besoin et elle est certaine qu’il saura en faire bon usage. Le jeudi suivant, elle ne vient pas…
Cette très belle histoire d’amitié est racontée avec pudeur et poésie. Poésie des images et poésie des mots. Les choses sont discrètement suggérées et joliment dites. Lorsque Suzanne ne vient plus, on comprend qu’elle est morte. Mais ce n’est pas dit explicitement et ce n’est pas triste. Elle a juste disparu, comme si elle s’était volatilisée. Partie avec les oiseaux rejoindre son mari… Et c’est à point nommé que le texte vient par petites touches, par l’intermédiaire de la voix off, dérouler le fil du temps et de la narration. Point de tristesse dans ce spectacle, mais une grande douceur. Et la mise en scène, à la fois simple et astucieuse, où chaque détail a son importance, répond à un subtil équilibre entre comédie et gravité.
Excellente comédienne, Emma Lloyd déploie une palette de jeu impressionnante, interprétant tour à tour Suzanne et Nadim dans des registres fort différents. Alors qu’elle joue la vieille dame dans la première partie du spectacle et anime la marionnette de Nadim, elle intervertit les rôles à mi-parcours. Après une nouvelle transformation à vue qui reprend en miroir, côté cour, celle du début, elle se métamorphose en jeune homme à l’abondante chevelure frisée vêtu façon sportswear. Une marionnette représentant Suzanne devient alors sa partenaire de jeu. Un vrai tour de passe-passe ! L’étonnante expressivité des marionnettes créées par Dik Downey ajoutée à la grande dextérité de marionnettiste d’Emma Lloyd fait qu’il est d’ailleurs parfois presque impossible de distinguer la marionnette de la comédienne. Des lumières habilement travaillées viennent parachever cet effet d’illusion.
“Suzanne aux oiseaux” se jouera à Saint-Gilles (35), Kingersheim (68), Lisieux (14), Dunkerque (59), Auray (56), Ploufragan (22) … Nous vous conseillons vivement d’aller découvrir ce très joli spectacle s’il passe près de chez vous.
Isabelle Fauvel
Joli texte Isabelle ! Cela donne envie de filer en Bretagne pour voir ce spectacle poétique . Bonne journée ! Martine
Merci, Martine. N’hésitez pas !