L’International Klein Blue (IKB), ce bleu profond et lumineux qu’il a fait breveter, l’a rendu célèbre bien au-delà du cercle des amateurs d’art, faisant de lui l’un des artistes français les plus connus de la seconde moitié du XXe siècle. Mais Yves Klein (1928-1962), disparu prématurément à l’âge de 34 ans, n’est pas seulement l’artiste qui inventa une couleur. Son œuvre, élaborée en seulement huit ans, se révèle tout aussi spectaculaire que variée et audacieuse : Monochromes, Sculptures éponges, peintures dorées Monogolds, Anthropométries, Peintures de Feu… Dépassant la figuration et l’abstraction, les deux courants alors existant dans les années 50, elle préfigure les tendances les plus novatrices de l’art contemporain, telles que la performance, le happening, l’art conceptuel ou encore le body art. Médiatisée, destinée à toucher un large public, elle n’en est pas moins le fruit de réflexions intellectuelles et spirituelles. “Yves Klein intime”, l’exposition que consacre actuellement l’Hôtel de Caumont d’Aix-en-Provence à l’artiste niçois, en explorant son travail sous le prisme de sa dimension personnelle, permet ainsi de mieux comprendre la démarche artistique d’Yves Klein. Dans un parcours chronologique et thématique d’une belle limpidité, prolixe en explications, une soixantaine d’œuvres, emblématiques ou moins connues, nous plongent avec ravissement dans le processus créatif d’une des grandes figures de l’art.
Dès l’entrée de l’exposition, “Trois Chevaux” (S.d.) du peintre figuratif Fred Klein (1898-1990) et “Composition” (1949) de l’artiste abstraite Marie Raymond (1908-1988), deux toiles de ses parents, nous rappellent les origines familiales d’Yves Klein. Elles soulignent également, si besoin est, combien le jeune homme su tracer sa propre voie, loin de tout code préexistant. Si sa naissance semblait le prédisposer à une carrière artistique, Klein avait en réalité des désirs d’évasion. Une scolarité chaotique et un échec au baccalauréat mirent cependant fin à ses espoirs d’être officier de marine. Le judo, une passion partagée avec ses amis Claude Pascal et Armand Fernandez (le futur Arman) et qu’il pratique jusqu’en 1960, allant jusqu’à ouvrir une école et à enseigner cette discipline, mobilise alors toute son énergie. Judo et voyages (notamment au Japon) lui offrent pendant quelques années d’autres horizons.
“Expression de l’univers de la couleur mine orange” (1955), une grande toile rectangulaire uniformément orange appartenant à la série des premières œuvres baptisées par la suite “propositions monochromes”, annonce la démarche artistique amorcée par Klein. Echappant à la définition même de “ tableau”, elle ne relève ni de l’art figuratif ni de l’art abstrait et, bien plus qu’une simple surface à regarder, se veut le support d’une couleur pure propre à envahir l’espace pour atteindre le spectateur. L’année suivante, cette expérience contemplative trouve son accomplissement avec l’élaboration par Klein d’un nouveau bleu incroyablement irradiant : l’International Klein Blue (IKB).
“Globe terrestre bleu” (1957, image d’ouverture), du pigment pur et de la résine synthétique sur une mappemonde en métal, “Pluie bleue” (1957), là encore du pigment pur et de la résine synthétique sur douze tiges en bois, ou encore “Monochrome bleu sans titre” (1961), du pigment pur et de la résine synthétique sur gaze montée sur panneau, nous plongent au cœur-même de la couleur qui deviendra la marque de fabrique de l’artiste, ce fameux bleu Klein, la couleur devenant selon ses dires “le plus immatériel possible, c’est-à-dire la force d’attraction elle-même.” Ce bleu qui captive le regard investit les objets, l’espace et le monde qui l’entoure. Il est, de plus, parfaitement malléable : il peut être appliqué au pinceau, au pistolet, comme au rouleau de bâtiment et pénètre magnifiquement les éponges. Celles-ci, sous la forme de “Sculptures éponges”, en deviennent les parfaits réceptacles.
Anthropométries, ces œuvres performatives réalisées avec les “pinceaux vivants” que sont les modèles humains, et divers portraits (“Portrait Relief de Claude Pascal”, 1962 ; “Portrait de Martial Raysse”, vers 1962…) revêtent ainsi immanquablement la couleur bleue. La participation d’Yves Klein à des œuvres collaboratives telles que “Excavatrice de l’espace” (1958, avec Jean Tinguely) ou encore ce splendide “cadavre exquis” (1962) de 14 mètres cosigné avec Pierre Restany, Claude Pascal et Arman est alors immédiatement identifiable. Mais aux côtés de l’IKB coexistent deux autres couleurs -le rose et l’or- constitutives d’une trilogie inventée par l’artiste, une “trinité” de couleurs qui n’est pas sans évoquer la sainte Trinité catholique, que l’on retrouve également dans nombre de ses productions.
Dans un parcours ponctué en sept étapes et une scénographie d’une belle intelligibilité, l’exposition, nous convie à entrer en connivence avec l’œuvre incroyablement protéiforme d’Yves Klein. De ses monochromes à son “saut dans le vide” (1960) ou ses peintures de feu (1961), la démarche du cofondateur du groupe des Nouveaux Réalistes nous apparaît ainsi d’une grande cohérence. Une escapade à Aix-en-Provence s’impose !
Isabelle Fauvel
Quand j’ai besoin de bleu, de bleu,
De bleu de mer et d’outre-mer,
De bleu de ciel et d’outre-ciel,
De bleu marin, de bleu céleste,
Quand j’ai besoin profond,
Quand j’ai besoin altier,
Quand j’ai besoin d’envol,
Quand j’ai besoin de nage,
Et de plonger en ciel,
Et de voler sous l’eau,
Quand j’ai besoin de bleu
Pour l’âme et le visage,
Pour tout le corps laver,
Pour ondoyer le cœur,
Quand j’ai besoin de bleu
Pour mon éternité,
Pour déborder ma vie,
Pour aller au-delà
Rassurer ma terreur,
Pour savoir qu’au-delà
Tout reprend de plus belle,
Quand j’ai besoin de bleu,
L’hiver,
Quand j’ai besoin de bleu,
La nuit,
J’ai recours à tes yeux.
Jean Mogin
La belle alliance, Seghers, 1963
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Merci, Monsieur Lombard, pour ce très beau poème, parfaitement adapté, et qui m’a permis de découvrir un poète. Belle journée, Isabelle Fauvel
Belle proposition que « ces soirées de Paris »
Voici quelque chose d’incarné, une présence à Paris voir Plus.