Acteur, metteur en scène, réalisateur, directeur de théâtre et de festivals, chroniqueur radio…, Jean-Claude Brialy (1933-2007) occupait une place de premier plan dans la vie culturelle et le paysage médiatique français. Premier ou second rôle au cinéma, il a joué dans plus de deux cents films et côtoyé les plus grands réalisateurs, à commencer par ceux de la Nouvelle Vague. Personnage aux multiples talents et à l’activité débordante, il était connu de tous. Sa disparition a laissé un vide immense, d’autant que l’homme avait le goût de l’amitié et portait haut et fort l’acte de mémoire. Ses idoles, ses amis continuaient à vivre à travers lui. Aujourd’hui, 15 ans après sa mort, ce sont eux qui se souviennent… “L’Ami Brialy, Prince des Dandys”, signé de la créatrice de costumes Pascale Bordet et du journaliste et écrivain Guillaume Evin, raconte le parcours exceptionnel de ce fils de militaire, travailleur acharné, qui marqua le monde du spectacle de son incroyable prestance. Grand esthète, il avait le goût du beau, comme le rappellent les merveilleux croquis de Pascale Bordet, et son élégance vestimentaire n’avait d’égales que sa distinction naturelle et sa droiture. Ce livre vient fort à propos lui rendre un hommage bien mérité.
Jean-Claude Brialy s’était livré de son vivant dans deux ouvrages autobiographiques des plus savoureux (1) où son esprit et ses anecdotes délectables faisaient une fois de plus merveille. Aussi bon écrivain que conteur, il y parlait autant des autres que de lui, l’homme ayant un amour éperdu pour les artistes et le culte de l’amitié en étendard. Pour vraiment connaître Brialy sans doute fallait-il qu’à leur tour ses amis parlent de lui. Et c’est ce qui fait tout le sel de l’ouvrage porté par sa fidèle costumière Pascale Bordet : par-delà le récit de la vie et de la carrière de l’acteur, le livre est truffé de témoignages de personnalités du monde du spectacle qui ont travaillé à ses côtés et l’ont aimé : Alexandre Brasseur, Pierre Arditi, Claudia Cardinale, Evelyne Bouix, Claude Lelouch, Marlène Jobert, Brigitte Fossey, Line Renaud, son agent Dominique Besnehard… Tous s’accordent sur sa bonne éducation, sa grande distinction, son intelligence, sa finesse, sa fantaisie, son humour corrosif, sa faconde, sa générosité, son élégance morale… Ils décrivent un homme cultivé, drôle, pétillant, d’une aisance sans pareille avec un sens unique de la répartie¸ faussement frivole, attentif à tous, ami fidèle dans les bons et les mauvais moments : un Prince. Les amis disparus auraient été, à n’en pas douter, tout aussi laudatifs, qu’ils se nomment Jean Marais, Jeanne Moreau, Barbara, Marie-José Nat ou Romy Schneider.
Le livre revient sur sa naissance en Algérie, ses jeunes années à Chambellay, Maine-et-Loire, chez ses grands-parents paternels alors que la guerre sévit, une scolarité au Prytanée militaire de La Flèche dans la Sarthe à laquelle fait écho une éducation parentale stricte faite de raclées, punitions et leçons de morale, sa passion précoce et contrariée pour le spectacle, son admiration pour Jouvet. Puis, la création d’une compagnie théâtrale, les premiers spectacles en amateur (“Le Souper blanc” d’Edmond Rostand, “Topaze” de Marcel Pagnol), les cours en auditeur libre au Conservatoire d’art dramatique de Strasbourg où il effectue sa dernière année de lycée après avoir échoué au baccalauréat, et un service militaire à Baden, en Allemagne, moins pénible que prévu puisque le comédien en herbe réussit à se faire nommer au service cinéma des armées. Puis, le grand saut : automne 1954, c’est l’installation à Paris. Brialy a 21 ans. Sans aide aucune de ses parents, sans entregent, il sous-loue une chambre de bonne et se met à frapper à toutes les portes, bien décidé à devenir acteur.
Très vite, il se rapproche de la bande des Cahiers du cinéma. Il fréquente Godard, Chabrol, Rivette, Cavalier, Resnais, Truffaut, Rohmer… qui ne tardent pas à le faire tourner : “Le coup du berger” (Rivette, 1956), “La Sonate à Kreutzer” (Rohmer, 1956), “Tous les garçons s’appellent Patrick” (Godard, 1956), “Les Mistons” (Truffaut, 1956), “Une histoire d’eau” (Godard et Truffaut, 1957), “Ascenseur pour l’échafaud” (Malle, 1957), “Paris nous appartient” (Rivette, 1958), “Les amants” (Malle, 1958)…Mais c’est Chabrol qui lui donne son envol avec “Le Beau Serge” (1958). Il y incarne François, un jeune homme tuberculeux, qui retourne dans son village natal après des années d’absence et retrouve son camarade d’enfance, Serge (incarné par Gérard Blain) en pleine déchéance. Le parcours de François, décidé à sauver Serge à tout prix, s’apparente alors à un véritable chemin de croix. Tout en délicatesse, tiré à quatre épingles, Brialy est l’incarnation du type bien à qui va toute notre sympathie. Le titre du film est ironique et c’est bien le beau et distingué François qui crève l’écran. “Le Beau Serge” est un succès – prix Jean Vigo 1959 et prix des “Spectateurs” pour le jeune acteur de 25 ans -, lançant la carrière de Brialy.
Mais avant même la sortie du film, trois mois seulement après l’avoir terminé, la belle équipe a récidivé avec “Les Cousins”. Deuxième succès, encore plus exorbitant que le précédent, avec une presse dithyrambique et, à la clef, l’Our d’or à Berlin. C’est à cette époque que le comédien s’offre pour ses 26 ans, avec l’aide financière de ses copains de la Nouvelle Vague, un château XVIIe siècle à Monthyon, en Seine-et-Marne, qu’il habitera pendant 48 ans, y accueillant nombre de ses amis. Malade, le danseur Jacques Chazot viendra y finir ses jours et Romy Schneider y trouver un refuge après la mort de son fils David. L’amitié toujours…
Le livre revient sur une grande quantité de films, nous rappelant à quel point Jean-Claude Brialy fut une figure incontournable du cinéma français, tournant avec les plus grands réalisateurs -qu’il serait vain ici de vouloir citer tant ils sont nombreux-, n’hésitant pas à mélanger les genres et passant ainsi d’une aisance déconcertante de l’univers d’un de Broca (“Le Roi de cœur”, 1966) à celui d’un Rohmer (“Le Genou de Claire”, 1970). Toujours très juste, toujours dans le ton. Nominé en 1977 pour le César du meilleur acteur dans un second rôle avec “Le Juge et l’Assassin” de Bertrand Tavernier, c’est finalement son rôle dans le film d’André Téchiné “Les Innocents” qui lui fit remporter la statuette en 1988. Mais sa frénésie de tournage ne se cantonnant pas au cinéma, il marqua également de sa présence une bonne cinquantaine de téléfilms. L’acteur n’hésita pas non plus, à l’occasion, à passer derrière la caméra (“Eglantine”, 1972, d’après ses souvenirs d’enfance ; “Un amour de pluie”, 1974, avec Romy Schneider ; “Un bon petit diable”, 1983, d’après la Comtesse de Ségur…) avec pas moins d’une quinzaine de réalisations à son actif.
C’est à se demander comment ce “boulimique de la pellicule” trouva le temps de se consacrer au théâtre. Car la carrière de Brialy sur les planches fut tout aussi impressionnante qu’à l’écran, en tant que comédien bien évidemment, mais aussi metteur en scène, directeur de théâtre et de festivals. Sa légèreté raffinée fit merveille chez Feydau, Félicien Marceau, Noël Coward ou encore Sacha Guitry. Son théâtre des Bouffes Parisiens fut un haut lieu de la vie culturelle parisienne où il aimait, là encore, accueillir ses amis. Mais les activités de ce grand infatigable ne se limitaient pas à la capitale et pendant de nombreuses années les festivals d’Anjou et de Ramatuelle lui durent leurs lettres de noblesse.
Les délicats croquis de Pascale Bordet viennent fort joliment illustrer l’ouvrage et nous rappeler, à travers “Les beaux habits de Jean-Claude Brialy”, l’élégance du personnage, tant à la ville qu’à la scène, et son goût immodéré du beau. Aujourd’hui, Brialy n’est plus, mais son esprit demeure. Son château de Monthyon que l’acteur légua à la ville de Meaux en nue-propriété, laissant l’usufruit à son compagnon (2), afin d’en faire un domaine dédié à la création, au spectacle et à l’art, deviendra une “Maison des Illustres” et un lieu de culture comme il le souhaitait. Et son esprit demeure également à travers ce livre qui nous le fait si merveilleusement revivre.
Isabelle Fauvel
Merci Isabelle pour cette promenade dans la carrière époustouflante de Jean-Claude.
J’ajouterai qu’il l’a terminée par un téléfilm qui lui tenait à coeur : « Monsieur Max ». Il y jouait Max Jacob « vieux » (Gallienne le jouait jeune). Il était absolument déchirant dans ce téléfilm de Gabriel Aghion. On y voyait ses vieux faux-amis (Sacha, Pablo) l’abandonner à son sort. Lui tirait des larmes. C’était peut-être la première fois qu’il n’était pas ce pince-sans-rire drôle que tout le monde aimait.
Rappelons que les mémoires d’acteurs ou d’actrices se vendent mal. Pas les siennes. Avec sa copine Brigitte Bardot, il est le seul à avoir dépassé les 500 000 exemplaires, et à une époque peu favorable aux gros tirages.
Bravo l’artiste. Le seul à avoir joué avec TOUS les cinéastes dits de la Nouvelle Vague… Si l’on regarde sa filmographie, on devrait d’ailleurs se demander plutôt avec qui il n’a pas tourné !