Où l’on apprend par la voix d’une certaine Jeanne Anger qu’une efficace façon d’attirer Apollinaire était d’évoquer la perspective d’une bonne pâtisserie. Cette amie de Marie Laurencin (artiste et amante d’Apollinaire durant un certain temps) écrivait au poète. En post-scriptum et dans une autre missive de mars 1913, elle ajoutait avec une gaie légèreté: « Je suis plongée dans vos bouquins, j’en suis au troisième. Je regrette seulement de ne pas avoir un amant bien portant en ce moment. » C’est tout un volume de correspondance féminine avec l’auteur de « Alcools » qui vient d’être publié chez Honoré Champion. Cet ensemble intéressant à plus d’un titre, provient d’un fonds localisé à la Bibliothèque interuniversitaire de Montpellier. Les photocopies de lettres reçues ont été inventoriées par Victor Martin-Schmets, à l’origine de cette précieuse édition. Laquelle contient des correspondances signées par des femmes ayant compté dans la vie d’Apollinaire et enregistrées comme telles (Annie Playden, Marie Laurencin) et d’autres moins conséquentes, moins connues, mais c’est ce qui fait tout la rareté et tout le sel de cette édition.
Car ce qu’il apparaît en clair, c’est que l’auteur de la « Chanson du mal-aimé » (1903), plaisait. Et que des Jeanne, des Élise, des Georgette, Stella, Émilie, Mariette, Marthe, Marguerite ou Yette, s’étaient plus ou moins faufilées dans l’agenda de l’écrivain. Parfois elles s’impatientaient, comme Mariette Grenot en 1906 qui s’étonnait de « l’obstination » d’Apollinaire à ne pas lui répondre tout en comptant sur un un sursaut de « politesse » et de « savoir-vivre ». Pour faire bonne mesure, elle avait ajouté un petit poème qui disait: « Pourquoi vos lèvres sur mes lèvres/Alors se sont-elles posées/Puisqu’elles n’étaient pas sincères et que vous ne pouviez m’aimer. » Cette carte-lettre était adressée à celui qui travaillait alors au Journal de la Finance, 10 rue de la Pépinière.
Ce livre et ses copies confidentielles, nous éclairent sur une forme de vie courante, étayée de plans B et attestée par le contenu de ces courriers à des expéditrices pas toujours connues. On sait, grâce à une note de l’auteur que Stella Croissant par exemple, avait écrit un jour une description d’une fumerie d’opium parisienne et que son nom figurait dans le carnet d’adresses d’Apollinaire. Dans une lettre datée du 31 mai 1914, elle lui demandait de l’emmener dans une fumerie « d’un genre différent » de celle qu’elle avait déjà vue et que dans le cas contraire, elle s’inviterait sans plus de façons à dîner au 202 boulevard Saint-Germain, dernière adresse de l’écrivain.
Tous ces textes font apparaître un homme qui avait mis plusieurs lignes à l’eau, ce qui lui permettait, dans l’ombre, d’entretenir quelques liaisons, quelques flirts plus ou moins clandestins, ce qui n’a rien d’extraordinaire en soi, n’était-ce l’identité du séducteur. Ce n’est que bien plus tard qu’il se mariera, en 1918, six mois avant de périr de la grippe espagnole. Jacqueline, son épouse officielle, ne figure pas dans cet ouvrage, pas plus que Madeleine, l’intense fiancée d’Oran avec laquelle il amenuisera les liens l’année de sa blessure au front en 1916.
Cette Madeleine Pagès dont tout un paquet de lettres sommeillait à la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris. Et dont nous avons pu prendre connaissance. Elles étaient adressées à Pierre-Marcel Adéma (1912-2000), le premier grand connaisseur de la vie comme de l’œuvre du poète. Chercheur, écrivain, il avait pris contact après la seconde guerre mondiale avec Madeleine afin de publier dans de bonnes conditions un premier volume de la riche correspondance entre Guillaume et Madeleine. La version intégrale devra attendre l’orée des années 2000.
Cependant, dans ce cas précis, c’est surtout la personnalité de Madeleine qui ressort, en femme très attentive à ce que son intimité soit respectée. « Tendre comme le souvenir » lui apparaissait comme un titre « parfait à tout point de vue », pour qualifier un échange épistolaire majoritairement accompli entre le front de la guerre et la ville algérienne d’Oran. Non seulement parfait mais mieux encore, un brin vindicatif, puisque dans une lettre à Pierre-Marcel Adéma le 25 octobre 1951, elle précise: « Madame Apollinaire n’aime pas trop notre titre? J’en suis ravie, n’en doutez pas, ça prouve qu’au moins il est bon ». Plaquée peut-être, mais rivale toujours, serait-on tenté de commenter. Pierre-Marcel Adéma devait par ailleurs user d’un peu de flatterie à son égard puisqu’elle lui répondit un jour à propos d’un article à paraître dans Vogue: « Le nom de Madeleine va briller dites-vous, cette idée-là me plaît assez. »
Il faut savoir demander pour obtenir et, à ce jeu, Apollinaire était très bon. Encore que parfois, on peut se demander qui manipulait qui entre lui et Madeleine, dans ces échanges virant progressivement au brasier amoureux, à la surenchère charnelle. C’est sans doute dans une volonté de corriger ou de rééquilibrer l’histoire que Madeleine avait prié Adéma de faire attention de façon « à ce qu’il ne soit pas pensé que l’écrivain m’attirait dans un piège lui permettant (au front ndlr) une délectation morose et solitaire ». Elle préférait en ce sens évoquer la « beauté absolue de leurs sentiments ». Le temps depuis a fait le tri et tout là-haut, Apollinaire encore, doit se sentir un peu débordé à donner des explications à toutes celles qui l’ont rejoint pour l’éternité.
PHB
Bonne nouvelle que cet addendum à la correspondance d’Apollinaire. Je m’interroge tout de même sur les prix toujours exorbitants des livres de cet éditeur …