Le 9 novembre 1945, selon une habitude déjà ancienne, les proches de Guillaume Apollinaire se pressaient autour de sa tombe à l’anniversaire de sa disparition, en 1918. Or, ce jour-là, il n’avait pas échappé à un observateur averti, Pierre-Marcel Adéma, qu’un journaliste américain en uniforme avait filmé le rendez-vous. Dans sa chronique du 7 novembre 2019 pour Les Soirées de Paris (1), Gérard Goutierre qui nous donnait cette information, s’était interrogé sur l’éventualité d’un « miracle » permettant de retrouver le film, un jour pas fait comme un autre. Le miracle a eu lieu le 20 septembre 2022 à la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris (BHVP, ci-contre) dans le Marais. Les deux bobines huit millimètres de « pellicule souple en acétate de cellulose » étaient là, bien rangées, attendant qu’une bonne âme veuille bien les faire numériser. Ce qui serait une bonne chose car l’on y verrait notamment Picasso, lequel jusqu’en 1945 inclus, était réputé ne jamais rater l’hommage annuel à son ami.
Et cette précieuse découverte est notamment due à Emmanuelle Toulet, directrice de la BHVP, laquelle avait annoncé il y a peu, avoir achevé la réunion des trois fonds Apollinaire de son établissement, soit la bibliothèque de l’écrivain, le fonds Pierre-Marcel Adéma et le fonds Michel Décaudin. Elle ne voulait pas quitter ses fonctions pour un prochain départ à la retraite, sans qu’ils ne soient « intégralement inventoriés » et « consultables en ligne sur le Portail des bibliothèques patrimoniales de la Ville de Paris ». Livres, courriers, bibelots variés, liste d’abonnés aux Soirées de Paris, poupées de collection, tout cela est désormais rangé, immatriculé, dans une pièce longitudinale, exclusive et austère où se tiennent mille et mille trésors d’où pourraient au passage résulter un certain nombre de sujets de thèse originaux.
Grâce soit rendue à la directrice car cet ensemble facilement disponible à la consultation, contient encore des pistes pas ou peu explorées, comme les trente courriers de Madeleine Pagès (la fiancée d’Apollinaire, institutrice à Oran) à Pierre-Marcel Adéma (1912-2000) le premier à avoir effectué des recherches méthodiques sur le poète, « tout en poursuivant une activité professionnelle dans le négoce en gros de pommes de terre », comme le précise avec un brin d’humour Emmanuelle Toulet. Par la suite l’universitaire Michel Décaudin (1919-2004) se joindra à Pierre Marcel-Adéma afin notamment d’échanger sur leurs recherches respectives. En témoignent selon la base de données, les 77 lettres de Décaudin à Adéma dans le fonds Adéma et les 98 lettres d’Adéma à Décaudin dans le fonds Décaudin. Tous ceux qui se sont intéressés un jour à Apollinaire savent ce qu’ils leur doivent.
L’important travail achevé par Emmanuelle Toulet a mis au jour de belles trouvailles dont elle livre de savoureux et passionnants détails dans un article mis en ligne sur le site de la BHVP (2). Nous avons pu grâce à elle ouvrir quelques cartons et découvrir non sans émotion le télégramme de Mario-Frederico-Max Palazzoli daté du 18 mai 1916, annonçant à Madeleine Pagès que Apollinaire avait « été opéré aussi bien que possible » suite à sa blessure sur le front par un éclat d’obus à la tempe. C’est d’ailleurs à la BHVP que se trouve aussi le casque percé du soldat-poète, atteint alors qu’il lisait la presse.
Maints objets ayant appartenu à Apollinaire suscitent la curiosité, comme pêle-mêle la photographie d’un jeune garçon non identifié, un flacon à tabac chinois en porcelaine avec décor de nuages et de dragons, ainsi qu’une seringue de marque Carrion, sachant qu’à cette époque et pour de nombreuses années encore, les seringues étaient réutilisables, il suffisait de les bouillir avec l’aiguille afin de tuer les germes.
Impossible de tout lister ici mais on notera également la présence de 2 photographies positives noir et blanc et 4 photographies négatives représentant Louise de Coligny sur une plage de Ostende (Belgique) en 1913. La base de données de la BHVP mentionnant ce propos: « Texte manuscrit de Louise de Coligny au verso des photographies, données par elle à André Rouveyre » (écrivain ami d’Apollinaire, ndlr). L’authenticité de ce cliché avait fait naître des doutes (3), lesquels seront cette fois -peut-être- dissipés.
Et puis encore une photo de 1930, pour finir par où cette chronique a commencé, montrant le fameux rendez-vous du 9 novembre au cimetière du Père Lachaise, où l’on reconnaît au moins Jacqueline l’épouse d’Apollinaire, et également Serge Férat dont la générosité discrète (avec celle de Hélène Oettingen) mais substantielle, permit la parution des Soirées de Paris jusqu’au déclenchement de la première guerre mondiale. En attendant le réveil des deux bobines de films récupérées, l’exploration de la base de la BHVP concernant Apollinaire (et même au-delà) reste un formidable terrain de jeu pour les chasses aux trésors des jours de pluie.
PHB
Bravo à Emmanuelle Toulet d’avoir fait ce travail de rassemblement et numérisation, et de mise à la disposition du public. Et à vous cher Philippe de nous en parler. J’ai hâte de voir le film de 1945.
Je suis toujours surpris de voir la dispersion en France des archives d’une personne célèbre, dans différents musées, bibliothèques, fonds et autres. Ici il s’agissait de dispersion dans un même musée mais il y a des archives Apollinaire dans bien d’autres endroits. Il est dommage qu’ils ne soient pas rassemblés en un lieu qui pourrait alors devenir un « musée Apollinaire ».
Cela a l’avantage de devoir, lorsque l’on fait une recherche, voyager à Paris ou dans nos belles provinces, voir à l’étranger, aux Etats-Unis notamment. Les voyages devant sans nul doute à l’avenir être restreints, ce sera plus difficile de pouvoir explorer ces mines d’informations. La numérisation résoudra en partie le problème, mais rien de tel que d’avoir entre les mains un document ou un objet cher au disparu, ou à tout le moins le voir dans une vitrine. Les foules qui visitent les expositions et les musées confirment que cela a encore de l’importante. Heureusement.
Bonne journée.