Sachant d’une part qu’un oiseau en vol ne réclame pas davantage qu’un cheval-vapeur pour emporter l’équivalent de cent kilogrammes et que d’autre part, un homme grimpant un escalier en produit deux pour progresser, il y eut un esprit calculateur en 1909 pour se demander s’il ne serait pas rigolo de faire décoller un vélo. Alexandre Sée (ci-contre) avait développé sa théorie dans le numéro du mois de novembre de la revue L’Aérophile. En bon polytechnicien qu’il était, accompagnateur technique des premières machines volantes, il participait ainsi au vieux rêve humain consistant à vouloir s’éloigner enfin du sol et des contingences. Son article serait à refaire de nos jours, puisque l’adjonction d’une batterie équipant les vélos actuels rebattrait les cartes, en leur apportant un surcroît de puissance critique pour s’affranchir de la gravité. Comme le disait le bon Pierre Desproges, « j’aimerais vivre en théorie, car en théorie tout est permis » et il est donc possible d’imaginer (car en imagination aussi tout est permis) les dingues du pédalier prendre de la hauteur et s’adonner au plaisir du vol en escadrille.
En 1909, la Revue Technique et Pratique des Locomotions Aériennes, L’Aérophile, en était déjà à sa dix-septième année de parution. Dans son numéro de juin 1909, elle avait fait état de l’inauguration de Port-Aviation le 23 mai du côté de Juvisy (Essonne). L’activation de cet aérodrome expérimental, avait drainé le premier jour, quelque trente mille curieux autour de la piste circulaire. Mentionnant son existence dans le poème « Zone », on peut parier que Apollinaire (dont c’est le 142e anniversaire cette année) fit un jour le déplacement. L’engouement était général, on ne comptait plus les pilotes amateurs.
C’est grâce à cette revue que l’on en sait un peu plus sur le théoricien de la « bicyclette aérienne » et aussi à Gallica qui en a conservé les exemplaires parmi ses trésors. Car L’Aérophile brossait régulièrement le portrait de ces expérimentateurs enthousiastes. Alexandre Sée était né à Lille le 31 décembre 1875. Il avait été reçu septième au concours d’entrée à Polytechnique et son intelligence y avait laissé semble-t-il, de bons souvenirs. Cependant il avait hésité une fois diplômé, sur la suite de sa carrière. Après avoir aidé son père qui était le patron de la maison lilloise Paul Sée, spécialisée dans l’édification de bâtiments industriels. Hésitation qui l’avait fait entrer à l’école des Beaux-Arts section peinture, tout comme, à en croire la revue, d’autres aviateurs notoires tels Gabriel Voisin, Léon Delagrange ou Henri Farman. Avec ses larges moustaches en ailes d’avion (un signe à n’en pas douter), il mit au point nombre de procédés industriels un peu hermétiques aux profanes, tel le « régulateur d’eau d’injection pour condenseurs ». Il est décrit comme un « sportsman » pratiquant notamment l’escrime, la course à pied, les haltères. Par la suite, il s’est intéressé aux paramètres de vol dont celui du « vent louvoyant » mais ses calculs étaient parfois contestés par d’autres lecteurs de la revue.
Il reste aujourd’hui quelque chose de Port-Aviation (1) et il est fort émouvant de considérer l’un des rares bâtiments encore debout, dans cette zone mangée par l’habitat pavillonnaire. Il y avait un fumoir, un bar, un grill-room, une tribune pour la presse (avec téléphone), un fleuriste, un coiffeur, un local pour les P.T.T et aussi des marchands de cartes postales. Pour avoir une loge de huit places lors de la Grande Quinzaine de Paris (octobre 1909) il fallait payer 750 francs.
C’était la fête. L’aviation était célébrée partout dans le monde sur des terrains plus ou moins improvisés. Et pour être aviateur, il suffisait de venir avec son engin, de le déplier sur place, tenter enfin de battre des records de vitesse et de longueur ou d’aller faire le tour de la Tour Eiffel et de revenir au point de départ sans forcément prévenir le préfet de police, tel le Comte de Lambert le 18 octobre 1909 sur son biplan Wright.
Il n’y a pas d’aventure équivalente aujourd’hui. Encore que. La semaine dernière au salon de Detroit, une société japonaise (Aerwins) a présenté un scooter volant qui sera commercialisé l’année prochaine, avec des hélices mais sans pédales.
PHB
(1) Relire « Port-aviation pleure ses pilotes » (25 juin 2013)
Images tirées de la revue l’Aérophile via Gallica
Encore un article jubilatoire. Bravo et merci !
J’espère que vos chroniques seront un jour rassemblées en un livre.
Bonjour, il y a pourtant bien de nos jours des industries naissantes, où tout semble possible (en imagination), mais il est vrai, si l’on pense au metavers par exemple, que, va savoir pourquoi, l’air de l’aventure y semble moins vivifiant, et l’on envie moins ses pionniers.