Alors, ce Pene Pati, né dans les îles Samoa, serait-ce le nouveau Pavarotti, comme le clame la critique? C’est toujours la même chose : quand un nouveau Caruso fait son apparition, on a l’impression qu’il surgit sur scène du jour au lendemain, né pour éblouir les foules. Mais quand on sait qu’il faut une bonne dizaine d’années, au minimum, pour former la voix et acquérir la technique, on sait bien que ce n’est pas possible. Demandez donc au tenorissimo Jonas Kaufmann, qui se produisait depuis quelque dix années sur les scènes européennes, pourquoi il est devenu une star du jour au lendemain dans «La Traviata» de Verdi auprès d’Angela Gheorghiu, au Metropolitan Opera, en 2006 ! La belle Angela à l’œil sûr avait remarqué le beau jeune homme, et l’avait demandé, mais avec son intelligence et sa modestie habituelles, lui trouvait qu’il avait chanté comme il le faisait depuis des années. Demandez donc au Yankee Michael Spyres, ayant quitté son Missouri natal pour se former à Vienne et fait des débuts dès 2006 au San Carlo de Naples, pourquoi il a dû attendre les années 2010 pour devenir une gloire rossinienne mondiale. Ou bien demandez à Roberto Alagna s’il se souvient de ses soirées de jeunesse passées dans les cabarets à gratter la guitare pour accompagner ses chansons. Il est vrai que dès qu’il a gagné le concours Pavarotti à 25 ans, il n’a plus arrêté depuis…
L’attente est si forte, que chaque fois, on croit au miracle. Mais le ténor Pene Pati, sacré nouveau Pavarotti, a bien dû faire ses classes, comme les autres, y compris Pavarotti lui-même qui mit assez longtemps à percer. Ayant eu la chance de naître dans ces îles de Samoa situées en Océanie dans la région polynésienne, puis élevé en Nouvelle Zélande, le jeune ténor remporte quelques grands concours dont le «Sutherland-Bonynge Bel Canto Award» en Australie (en 2012), le «Montserrat Caballé International Aria Competition» (Espagne, 2014), et le prix du public à «Operalia» (2015), le concours lancé en 1993 par Placido Domingo. Tout en faisant ses classes à l’Opéra de San Francisco dans le cadre du Adler Program sous l’égide du très réputé maestro italien Nicola Luisotti. Le directeur musical le fera débuter à 29 ans en 2017 dans « Rigoletto » de Verdi (duc de Mantoue, un des grands rôles de l’enfant de Modène), où il fera sensation. A la suite du rôle de Percy, l’amour d’enfance de « Anna Bolena » de Donizetti à l’Opéra de Bordeaux (saison 18-19), le site Opera-Online écrit : «the most exceptional tenor discovery of the last decade».
Et tout s’emballe à une vitesse assez stupéfiante : rôle de Roméo dans «Roméo et Juliette» de Gounod à l’Opéra de San Francisco et l’Opéra National de Bordeaux. Puis Alfredo de la «Traviata» au «Bolchoï historique de Moscou», comme il le met sur son site officiel. Puis débuts cette année à l’Opéra Bastille dans l’étourdissant «Élixir d’amour» (ci-contre) de Donizetti, au San Carlo de Naples dans la tragique «Lucia di Lamermoor» de Donizetti, au Staatsoper de Vienne dans la tout aussi tragique «Anna Bolena», toujours de Donizetti. Le temps de retraverser l’Océan, le voilà au San Diego Opera reprenant le rôle de Roméo, et retour en Europe pour des débuts au Staatsoper de Berlin pour un nouvel Alfredo dans «Traviata», et à Aix-en-Provence cet été dans «Moïse et Pharaon», opéra français de Rossini. C’est assez dire qu’il faut fréquenter l’Europe pour devenir le nouveau Pavarotti, et qu’il faut mener un train d’enfer pour le rester. Sans compter qu’il forme depuis 2012, avec son ténor de frère et son bariton de cousin, le trio populaire «Sol3 Mio» qui remplit les stades. Cela ne vous rappelle rien ? Leur premier CD paru chez Decca Classics a fait exploser les compteurs en Nouvelle Zélande.
Speedy Pati a même pris le temps d’enregistrer son premier CD solo en août 2021 à l’Auditorium de Bordeaux, le lieu de sa consécration de Donizetti, sous la direction de l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine dirigé par Emmanuel Villaume. Il est vrai que nous avons le sentiment, nous les Français, qu’il nous doit un peu sa jeune gloire, ce Samoan venu des îles lointaines pour triompher à Bordeaux puis à Paris, mais aussi dans un répertoire souvent français de par le monde, comme nous le montre ce premier disque.
«De la lumière dans le timbre, de l’insolence dans l’aigu, de la hauteur dans l’émission, des réserves dans le souffle : de quoi rappeler un certain Pavarotti», écrit Didier Van Moere dans la revue Diapason. Certes les trois premiers airs, extraits de Rigoletto, dont le famosissimo «La donna e mobile», mérite toutes les louanges, toutes les comparaisons. De même les deux arias de «L’Elisir d’amore» et de «Roberto Devereux» attestent tout l’art de ce grand donizettien.
Mais plus étonnant encore, la présence écrasante du répertoire français, Gounod, Rossini français, Meyerbeer, Massenet, jusqu’à l’air final, d’un certain Benjamin Godard, peu connu mais qui nous reste lui aussi dans l’oreille et ne nous quitte plus. Pene Pati nous dit qu’il a voulu nous montrer dans cet album comment «un gars du Pacifique chante des airs européens», mais le mystère le plus étonnant est son goût et son art du phrasé en français. On touche là au cœur même du chant lyrique …
Lise Bloch-Morhange
ta nouvelle idole???Il n’a pas le physique de Jonas!!!
Lequel emporteras-tu sur une île déserte?
Chère Lise,
Toujours à l’affut des nouveautés musicales et la c’est la pépite .
Grâce à ton cœur d’artichaut ,nous sommes chaque fois parmi les premiers à découvrir de nouveaux talents!
Continue et mille mercis