Il n’est guère certain que Victor Hugo eût apprécié de voir ses œuvres graphiques détournées sinon maculées. La maison musée de la Place des Vosges a pourtant pris le risque d’organiser une exposition autour de Arnulf Rainer, «figure majeure de la scène artistique autrichienne» qui a, dès 1998, peint par-dessus des reproductions de Victor Hugo. C’est ce qu’il est convenu d’appeler la «surpeinture» ce qui s’écrit en allemand «Ubermalungen».
Selon la présentation de cette exposition qui débutera le 6 octobre jusqu’au 15 janvier 2012 Arnulf Rainer «agrandit des détails, inverse certaines images, accompagne et transforme le geste de Hugo qui a précédé le sien». On pourra ainsi voir une montagne dessinée et colorée par Hugo recouverte d’un halo rouge par l’artiste autrichien. Dans le cas de ce halo rouge, la signature d’Hugo apparaît encore un peu, non loin d’un «R» en surimpression.
Travailler à partir de la notoriété d’un autre permet objectivement de faciliter l’ascension de la sienne propre. C’est aussi ce que les enfants appellent la courte échelle. L’affaire aurait peut-être choqué l’auteur original, de même que Corot, Rembrandt ou Van Gogh qui figurent parmi les autres proies de cet autrichien né en 1929 et qui fit un passage rapide à l’Ecole des arts appliqués et à l’Académie des beaux-arts de Vienne.
Curieux personnage qui expérimente dans les années 50 le travail à l’aveugle (Blindmalerei). C’est en tout cas par manque de matériel paraît-il qu’il se lance dans la technique du recouvrement. Quelques uns de ses contemporains comme Sam Francis, Georges Mathieu, Emilio Vedova ou Victor Vasarely accepteront de voir leurs œuvres traitées par Rainer. Ce qui vaut une forme de reconnaissance pour cet artiste qui agit parfois après ingestion de substances hallucinogènes.
Pour permettre aux visiteurs de se faire une opinion, 37 dessins de Victor Hugo ainsi que 10 estampes côtoieront 110 œuvres d’Arnulf Rainer. A noter que ce dernier travaille toujours sur des œuvres d’Hugo depuis les Canaries où il habite.
Post-scriptum (1) : Victor Hugo est l’auteur de 3000 dessins, une production qui s’étage entre 1830 et 1876 dont une partie remarquable réalisée dans ses années d’exil à Jersey puis à Guernesey. Et voilà ce qu’il en disait dans une lettre à Charles Baudelaire le 29 avril 1860 : «Je suis tout heureux et très fier de ce que vous voulez bien penser des choses que j’appelle mes dessins à la plume. J’ai fini par y mêler du crayon, du fusain, de la sépia, du charbon, de la suie et toutes sortes de mixtures bizarres qui arrivent à rendre à peu près ce que j’ai dans l’œil et surtout dans l’esprit. Cela m’amuse entre deux strophes.» Pour Hugo, la poésie, dans laquelle on peut inclure son œuvre écrite et graphique, était pour lui «de toutes les choses humaines la plus voisines des choses divines».
(1) Source bibliographique : Victor Hugo dessins et lavis, Editions Hervas 1983
Le recouvrement, en effet, comme les charniers, la binarisation des musiques polyrythmiques ou encore le salage inconsidéré ou l’ensaucement de tous les produits alimentaires fabriqués, ou encore simplement la logorrhée médiatique sont de bien navrants symptômes de l’inanité d’une certaine création qui n’a rien à dire et qui se fiche du vivant. Heureusement, les oeuvres de Van Dongen ou de Victor Hugo ne sont pas encore enterrées!
Comme le savent les artistes, les oeuvres échappent en grande partie à la reproduction. Ainsi le seul moyen de se faire une opinion qui ne soit pas un préjugé est de venir voir l’exposition, et d’être alors gagné par l’intensité et la puissance des oeuvres d’Arnulf Rainer, en profonde empathie avec l’oeuvre hugolienne.
Il est certain que Victor Hugo aurait apprécié de voir ses taches, comme il les appelait lui-même, maculées par un artiste venu du siècle suivant: quelle meilleure preuve que ses dessins sont visionnaires! Précurseurs, ils appellent la modernité, et ne cessent d’influencer les artistes modernes. Rainer, l’un d’entre eux, s’inspire de cet art visionnaire pour créer une oeuvre colorée, expressive, intense. Rien à voir avec de la copie, rien d’une solution de facilité: au contraire. On voit bien dans l’exposition que les oeuvres de Rainer « tiennent » à côté de celles de Hugo, et les deux univers si distincts des deux artistes s’illuminent réciproquement d’une lumière nouvelle!
« Travailler à partir de la notoriété d’un autre permet objectivement de faciliter l’ascension de la sienne propre. » C’est, du reste, la raison d’être des journalistes ou des reporters tels que vous. Encore faut-il avoir du talent. « Il n’est guère certain que Victor Hugo eût apprécié » votre tentative de créer une polémique stérile à partir d’une exposition que vous n’avez même pas pris le soin de visiter.
Cher lecteur, vous n’avez pas tout à fait tort. Mais d’une part le but de cet article était d’annoncer un événement qui n’avait pas encore commencé. Il a été réalisé à partir d’éléments documentaires. Et d’autre part, s’il fallait que nous, journalistes, évitions tous les sujets notoires, nous manquerions un peu de matière!
Merci d’avoir pris la peine de nous écrire. PHB