Originaire de Fano, dans la région italienne des Marches, Carlo Magini s’était taillé une honorable réputation de peintre grâce à ses natures mortes. Nous n’avons pas la date exacte de la toile ci-contre (détail), fin 18e peut-être, mais ce qui est intéressant c’est que l’on y voit une bouteille de vin, le fameux fiasco, entouré de paille afin de protéger le verre. De nos jours le terme à fait florès au sens figuré pour signifier un échec complet, et ceci depuis l’époque où un acteur italien du 17e, Domenico Biancolelli, fit un bide sur scène en agitant une bouteille de vin. L’actualité n’a de cesse de s’emparer du mot fiasco, le dévoyant à l’excès. Le dernier en date étant un certain match de foot à Saint-Denis qui ne s’est pas déroulé dans les conditions souhaitées. Heureusement qu’en 2013 puis en 2021, parut sous la plume de l’académicien Jean-Robert Pitte, aux éditions Tallandier, un bel ouvrage autour du vin et de sa mise en bouteille. Disponible à la librairie des Immortels, en vue du Pont des Arts, c’eût été bête de passer devant sans l’acquérir pour s’instruire.
L’auteur a ratissé large, privant de fait toute initiative équivalente pour de longues années. Il consacre justement tout un chapitre aux fiasco de Toscane et d’Ombrie que l’on boucha longtemps avec de la paille et un disque d’huile sommital. Il les décrit munies d’un lien qui permettait d’en saisir plusieurs et de les accrocher commodément à la ceinture, le cas échéant. Jean-Robert Pitte nous invite aussi à découvrir, selon lui, la plus belle représentation d’un fiasco, une œuvre du 18e siècle longuement intitulée « Natura morte con piatto di sarde », du napolitain Giuseppe de Luca. Nous n’avons malheureusement pas retrouvé l’image sur Internet. On apprend en tout cas que ces bouteilles étaient soufflées à la bouche jusqu’aux débuts du 20e siècle et que le paillage proprement dit était essentiellement dû à des ouvrières spécialisées. Leur grand atout était surtout leur contenant paillé puisqu’elles pouvaient ainsi voyager loin sans être cassées.
À propos de contenant d’ailleurs, Jean-Robert Pitte ne manque pas d’égratigner au passage Alfred de Musset (1810-1857) qui écrivit un jour dans « La coupe et les lèvres », le fameux « qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse ». L’auteur juge l’apostrophe « regrettable » de la part d’un homme réputé alcoolique et surtout fort peut galant. Car il crut bon de dire un jour sur le même ton: « Amour est le grand point, qu’importe la maîtresse ». Il aurait eu un certain succès de nos jours avec une telle formule. De même que les frères Goncourt qui se singularisèrent en proclamant: « Une bouteille, voilà une distraction très supérieure à la femme. La bouteille vide, c’est fini. Elle ne vous demande ni visite ni souvenir, la bouteille. Elle ne vous demande ni reconnaissance, ni amour, ni même de politesse. » Cette dernière citation figure parmi les notes en appendice de cet excellent ouvrage, au sujet extrêmement fouillé, mais c’est bien le moins que l’on est en droit d’attendre d’un académicien.
L’immortel disserte également sur l’apparition du bouchon de liège, dispositif sans lequel nous n’aurions pas connu le champagne. En attendant son invention, il fallait donc se débrouiller et un plaisant chapitre nous explique qu’il fut un temps où les vignerons, utilisaient le bouchon de verre dont on perfectionnait l’adhésion au col grâce à de la pâte d’émeri. Ayant pour principal inconvénient qu’il fallait casser le goulot pour accéder au contenu. Mais surtout il nous donne l’origine de l’expression un peu tombée en désuétude « bouché à l’émeri », laquelle dénonçait une personne peu disposée à comprendre. On en connaît.
Salutaire ouvrage au demeurant qui nous narre avec passion et science la grande histoire de la bouteille de verre, d’Italie à l’Espagne et de l’Iran jusqu’en France. C’était quand même un progrès, après les molles outres de peau et les amphores. Ce n’est certes pas Joséphine de Beauharnais qui aurait pu se plaindre de cette invention, puisque parmi les plaisantes anecdotes qui jalonnent le livre, on apprend qu’après sa mort en 1814, on a recensé pas moins de 13.286 bouteilles dans sa cave, essentiellement du bordeaux. A priori l’endroit souterrain ne comptait pas de vins italiens, mais il faut dire que son mari, avec Waterloo et Trafalgar, avait déjà poussé loin le sens du fiasco.
PHB
Puisque vous associez malicieusement vin et académicien, René de Obaldia, qui nous a quittés il y a peu, pas de maladie, mais de tristesse de ne pouvoir voir ses amis en temps de covid, buvait encore, la centaine passée, un ou deux verres de vin quand on avait encore la chance de pouvoir déjeuner en sa belle compagnie…
Cet homme charmant commandait toujours du Pécharmant…
Je vous invite tous à l’imiter ! Avec modération ou pas