Entre autres particularités, Octavie Coudreau (1867-1938) se préférait explorateur à exploratrice. Et elle laissait aussi entendre que si elle fouillait l’Amazonie, c’était avant tout afin de retrouver les restes de son mari qu’elle accompagnait auparavant dans sa mission de géographe-civilisateur. En réalité, il semble qu’elle y avait pris goût, puisqu’elle s’empressait de préciser qu’elle s’était fait un devoir de continuation de cette entreprise visant à transmettre la connaissance « aux masses ». Il lui avait légué, outre « une belle indifférence » pour l’argent, un savoir-faire en matière d’établissement d’un relevé géographique. Elle avait pris les deux. On ne sait pas quand fut décédée Amélie Bel (1859-) mais elle avait ceci de commun avec Octavie, d’être elle aussi partie avec son mari pour l’Afrique du Sud, l’Extrême-Orient et le Congo. Leurs portraits respectifs figurent sur les cimaises de l’exposition sur l’exploration à la BnF qui célèbre en ce sens le bicentenaire de la Société de Géographie.
On pourrait se dire qu’une société de géographie n’a plus grand intérêt vu que nous en sommes à cartographier le moindre astéroïde, mais recherche faite, la société existe toujours, c’est même la première du genre paraît-il. Et sur son site Internet il est précisé que sur les trente-deux qui existaient en France au début du 20e siècle, on en compte encore à Bordeaux, Lille, Marseille, Rochefort, Toulouse et Tours. Ce n’est pas un mal d’ailleurs lorsque l’on voit tant de gens incapables de se situer sur une carte. C’est leur téléphone qui les sauve à l’occasion.
Encore une belle exposition, riche autant qu’exigeante que nous offre la BnF à côté de celle de Champollion. On en sort toujours moins bête qu’avant d’y pénétrer, ne serait-ce qu’en regardant la « chambre claire » de Charles de Foucaud (1858-1916), cet instrument qui lui permettait de dessiner de façon précise grâce à ses prismes. Et qui permit aussi par le passé à nombre d’artistes de mieux cerner leur sujet.
Cette scénographie unit admirablement l’histoire et la géo. Et nous fait comprendre par l’exemple que les enjeux de l’exploration étaient variés, de la science pure à des objectifs moins corrects comme la colonisation et l’exploitation de richesses qu’il était tentant d’aller piller l’arme en bandoulière. Les organisateurs ont effectivement essayé de faire la part des choses entre la mythologie entourant l’explorateur présumé solitaire et le rêve d’une connaissance désintéressée. Ne serait-ce qu’en évoquant par extension Joseph Gallieni (1849-1916) qui ne regardait pas à la dépense en vies humaines, notamment lors de l’expédition de Madagascar. Certes on ramenait des cartes, mais à quel prix.
Mais l’aventure quoiqu’il en soit, méritait bien son nom et nous sommes conviés à participer via la richesse du fonds ressorti de la BnF, à la préparation au voyage, à la constitution d’un campement, aux indispensables auxiliaires d’accompagnement et jusqu’au prestige des conférences données, une fois la boucle bouclée. Ces aventuriers d’un autre siècle partageaient leurs connaissances accumulées et c’est bien là, une forme remarquable de civilisation si l’on veut bien passer sur les conséquences parfois néfastes laissées derrière eux.
Le beau catalogue qui va de pair avec l’exposition nous ouvre également les yeux. Par exemple sur Robert Edwin Peary (1856-1920), censé être le premier à avoir planté le drapeau américain au Pôle Nord. Il est appréciable de se voir rappeler que c’est Matthew Henson (1866-1955) qui arriva le premier au but. Mais Matthew était noir, descendant d’esclave et, malgré la publication de son livre en 1912 « A Negro Explorer at the North Pole », il faudra attendre 1988 pour que son rôle de précurseur soit enfin reconnu.
À l’heure où les satellites modernes sont à même de cartographier la disposition d’un pique-nique à la campagne, que reste-t-il de l’exploration et des explorateurs. Il semble que nous ayons encore du pain sur la planche puisque l’un des sujets en cours de la Société de Géographie est la ville numérique, connectée et nous dit-on intelligente. C’est vrai que les choses évoluent et que certaines explorations seraient à refaire ne serait-ce qu’à l’endroit des mégapoles ou dans les lieux que l’humanité a plus ou moins modifiés. L’exploration est une chose toute relative d’ailleurs, point n’est forcément besoin de renouveler son passeport. Si elle est avant tout découverte, c’est tout un monde de proximité qui peut s’ouvrir à l’explorateur moderne, ne serait que sur son sur propre bureau où sédimentent tellement d’objets qu’à chaque fois des surprises surgissent ou ressurgissent. Sans compter sa cave, murée dans un silence tombal et sans parler de ces multiples étonnements qui attrapent le regard à qui sait voir dans un rayon raisonnable.
PHB