Industrie pharmaceutique, chimique, textile, automobile, informatique … Lyon dispose d’un patrimoine industriel très divers. À son instar, le patrimoine culturel et architectural de la ville se caractérise par une variété unique. En s’enrichissant au fil du temps, il a gardé les traces des différentes étapes du développement de la ville. De la fondation, en 43 av. J.C., de la colonie romaine de Lugdunum à aujourd’hui, Lyon s’est étendu bien au-delà de la rive gauche du Rhône. L’extension de la ville s’est intensifiée pendant la révolution industrielle. Le développement industriel et textile qu’elle a amorcé a entraîné l’arrivée d’une très forte population ouvrière immigrée. C’est ainsi que le nombre d’habitants de Villeurbanne (ci-contre l’hôtel de ville), banlieue aujourd’hui fondue dans l’agglomération lyonnaise, est passé de 3000 en 1835 à 60.000 en 1926. De même, la colline de la Croix-Rousse de Lyon, devenue une zone urbaine grâce à la construction d’immeubles hauts de plafond où vivaient les familles de canuts avec leurs métiers à tisser, a, elle aussi, été rapidement saturée.
Pour loger les populations ouvrières dans des conditions dignes, deux projets avant-gardistes d’envergure ont été menés presque concomitamment dans les années 1930. En 1933, la cité des États-Unis instaure un nouveau quartier dans le 8e arrondissement de Lyon. Près de 1500 logements sociaux «au confort moderne» et de nombreux magasins sont implantés sur une plaine auparavant agricole. Et c’est en 1934 qu’est inauguré à Villeurbanne le quartier des gratte-ciel, un vaste ensemble architectural comprenant environ 1500 logements sociaux tout confort ainsi qu’un hôtel de ville, un palais du travail et un centre de communication. Et, fait suffisamment notable pour être souligné, il s’agissait de la première construction de gratte-ciel en France grâce aux techniques américaines qui habillent des poutrelles métalliques. Les gratte-ciel de Villeurbanne resteront les constructions les plus hautes de la région lyonnaise jusqu’en 1977, date de l’achèvement de la tour-crayon du quartier de la Part dieu.
Plus de 80 ans après leur construction, ces deux cités, qui étaient pionnières en matière d’hygiène et d’équipement des logements, sont toujours occupées et leurs appartements sont toujours attribués suivant des critères sociaux. Une réussite sociale et économique ! Loin des circuits touristiques classiques de Lyon, ce pas de côté «social» vaut amplement le détour. Et d’autant plus que les deux cités disposent toutes deux d’un appartement témoin qui se visite (sur réservation). Meublés et décorés dans le style des années 1930 pour restituer la vie des premiers locataires, ils nous «parlent d’un temps que les moins de 80 ans ne peuvent pas connaître».
Les H.B.M. (Habitations à Bon Marché) de Tony Garnier
Pour la visite de la cité du quartier des États-Unis de Lyon, cap sur le musée Urbain Tony Garnier. Il vous accueille pour vous faire découvrir l’appartement témoin de 54 m2 des H.B.M. (Habitations à Bon Marché) de l’architecte Tony Garnier. Suivant la pensée hygiéniste, les îlots d’habitation sont organisés autour de vastes cours intérieures arborées et aménagées en espace de vie. Les logements disposent tous d’une cuisine, d’une salle à manger, de chambres, d’une salle d’eau avec toilettes (une rareté à l’époque), et d’un balcon. Ils sont traversants et leurs grandes fenêtres laissent entrer la lumière et l’air. Après l’appartement témoin, la visite continue dans le petit musée où l’exposition actuelle consacrée aux «Trente glorieuses» est très bien documentée et illustrée par des objets d’époque. Pour terminer par un peu d’exercice, une balade pédestre permet de faire le tour de la cité des États-Unis tout en admirant 25 gigantesques et surprenantes fresques murales, peintes sur ses murs pignons aveugles. Elles retracent les réalisations architecturales de Tony Garnier.
Mais qui était donc cet architecte progressiste ? Après avoir étudié aux Beaux-Arts de Lyon, Tony Garnier (1869-1948) obtient le Grand prix de Rome en 1899. Il revient de son séjour d’étude en Italie avec un projet de cité industrielle utopique, marqué d’un idéal socialiste et de pensée hygiéniste dont il s’inspirera pour bâtir la cité des États-Unis. Il a 36 ans quand Édouard Herriot, homme politique éminent de la IIIe République, qui a été maire de Lyon durant 50 ans, fait appel à lui pour lancer une politique de grands travaux qui laissera une empreinte durable et inscrira le maire et l’architecte dans l’histoire de la ville. Tony Garnier sera le compagnon de route d’Édouard Herriot pendant 30 ans durant lesquels il nantira la ville de grands équipements dont les plus connus, en dehors de la cité des États-Unis, sont les abattoirs et le marché aux bestiaux de Gerland (1913-1928), l’hôpital Édouard Herriot (1914-1933), le stade municipal de Gerland (1913-1926), la salle des fêtes de la Croix-Rousse (1934).
Le quartier des Gratte-ciel de Villeurbanne
À cinq stations de métro de l’hôtel de ville de Lyon, le quartier des gratte-ciel du centre de Villeurbanne est très facilement accessible. Il serait dommage de ne pas aller y jeter un coup d’œil. La cité des gratte-ciel en jette et qui aime l’architecture moderniste des années 1930 sera immédiatement séduit. Il faut dire que l’ensemble a été soigneusement ravalé récemment car Villeurbanne a été désignée «Capitale française de la culture» pour l’année 2022. En se promenant dans le quartier on a l’impression de feuilleter un magazine d’architecture tendance tellement c’est beau. Et pourtant, c’est habité et vivant et ce sont toujours des logements sociaux !
Le maire socialiste de Villeurbanne, le médecin Lazare Goujon (1869-1960), est à l’origine de ce projet né en 1927, qu’il a mené à bien de bout en bout. Ce vaste ensemble architectural, avec logements, commerces mais aussi bâtiments administratifs, servait deux ambitions. Une ambition sociale en répondant à la pénurie de logements par des appartements hygiénistes avec un équipement à la pointe. Et une ambition politique : en construisant un vrai centre futuriste avec d’élégants gratte-ciel à l’américaine, un splendide hôtel de ville à colonnades avec un beffroi de 65 m de haut, et un palais du travail (ci-contre) tout aussi stylé, on conférait à Villeurbanne un pouvoir identitaire fort qui lui permettait de s’affirmer face à sa voisine Lyon. L’hôtel de ville a été conçu en 1930 dans le style art-déco par l’architecte Robert Giroud. Et c’est Môrice Leroux (32 ans), un inconnu, lauréat du concours d’architecture 1928, qui a été choisi pour réaliser le restant du projet dont les alignements d’immeubles à gradins à l’américaine, encadrés par deux tours de 19 étages et 60 m de hauteur d’un avant-gardisme inouï. Ces logements sociaux (HLM encore aujourd’hui) offrent un confort exceptionnel pour l’époque: plusieurs pièces par logement, ascenseur, gaz de ville, chauffage central, salle d’eau ou salle de bains et des terrasses dans les hauteurs.
Et pourtant, autant le nom de Tony Garnier a imprégné Lyon autant celui de Môrice Leroux est tombé dans les oubliettes !
Lottie Brickert
Informations pratiques
Musée Urbain Tony Garnier, 4, rue des Serpollières. 69008 LYON – 04 78 75 16 75 – musee@mutg.org
Bus C16, 26, 34 / Tram T4 arrêt États-Unis Musée Tony Garnier
Visite guidée (y compris l’appartement témoin) les samedis : départ à 14h30, RDV 15 min avant pour acheter un billet sans réservation (places limitées). Durée : 1h45
Quartier des gratte-ciel de Villeurbanne, promenade libre autour de l’hôtel de ville, avenue Aristide-Briand et avenue Henri Barbusse
Métro A: Gratte-ciel – Ligne de bus C26, 27 et 69: arrêt Mairie de Villeurbanne
L’appartement témoin se visite uniquement dans le cadre de visites guidées organisées par le Rize (04 37 57 17 17) ou l’office de tourisme du Grand Lyon (04 72 77 69 69)
Photos: ©Lottie Brickert
merci et bravo pour ce tour architectural qui ne manque pas d’intérêt. Plusieurs réalisations de Tony Garnier souffrent d’une forme d’abandon (piscine du stade Gerland, vacherie (où se collectait le lait destiné aux enfants), belles maisons particulières aux références antiques)
L’évocation des oeuvres de Môrice Leroux (immense quartier des gratte-ciels, palais du travail devenu théâtre) répare autant que peut se faire une relative inégalité de traitement historique.