Une géographie bien singulière des célébrités, selon Matthias Debureaux

Ce petit guide, mais pas si petit que cela (688 pages), nous emmène sur les routes (et voies ferrées) de France pour découvrir qui a habité nos jolis villages. Son titre est trompeur : « Guide mondain des villages de France ». En fait de mondains, sur les 500 personnes répertoriées, il n’y en a pas tant que cela. Et certains auraient peut-être été gênés d’être ainsi qualifiés : tel le «Facteur Cheval» qui fit son palais dans «cette humble commune caillouteuse de la vallée de la Galaure» ou le Curé d’Ars, ou encore Fernand Reynaud. Et puis des villages, à part leur nom et leur localisation, il n’en est pas tant fait état. En fait le prétexte est de présenter une liste hétéroclite de personnages que l’on connaît bien, ou de nom seulement, ou pas du tout mais qui ont tous une personnalité intéressante, et qui y ont laissé une trace. Notamment dans ces villages.

Les «vignettes» sur chacun de ses personnages sont faciles et agréables à lire, documentées, les anecdotes bienvenues. À la fin de la lecture, on a l’impression de les connaître et par là même d’être un peu plus intelligent. Quand on connaît ou croit connaître la célébrité, on a parfois des doutes sur certains faits rapportés. Ainsi la visite de François Mitterrand à Gertrude Stein, à Culoz pendant la guerre, est une révélation pour moi. Elle n’est pas mentionnée dans la biographie de Gertrude par Nadine Satiat (Flammarion, 2010), qui elle fait quand même 1289 pages. Ce qui semble plus certain c’est l’inauguration du buste de la dame par le Président en juillet 1987. Mais l’histoire de cette rencontre, même si elle n’a eu lieu que dans la bouche de l’intéressé, n’est-elle pas formidable !

Matthias Debureaux a produit à lui tout seul ce pavé : bravo lorsque l’on sait le temps que cela met pour pondre un seul article, comme celui-là, alors qu’il suffit ici de critiquer (au sens positif) le travail d’un autre, depuis son bureau. Le site dédié uniquement à ce livre  nous explique que «pendant quatre ans, Matthias Debureaux a sillonné les petites routes de nos campagnes à la recherche d’histoires à la fois drôles, instructives, inattendues». Et de nous montrer une photo de l’auteur à côté de son vélo. Les précieux index, par personnalité et par nom de village, et la table des matières organisée par région, puis par département, et dans chacun les villages fréquentés, permet d’aller voir qui était où, et d’organiser son prochain voyage sur les traces de ces célébrités. Il est étonnant de voir, et c’est peut-être un des fils conducteurs de l’auteur, que dans ces villages, la trace de ces visites, parfois relativement courtes, a été gardée et célébrée. Ainsi James Joyce qui séjourna à Saint-Géraud-le-Puy pendant un an, y a désormais son musée et une promenade  « sur ses pas ».

Et qui savait que Robert de Niro «Senior», le papa de Robert de Niro «Junior», l’acteur, était peintre et avait vécu à Saint-Juste-en-Chevalet. Gare la plus proche : Roanne à 30 kilomètres. Il a eu droit à une rétrospective au musée La Piscine de Roubaix en 2005. Junior a assisté au vernissage «les larmes aux yeux». Et encore Broux-Vernet où vécut Antoine Pétillat, célèbre à la fin du siècle, pas le dernier mais celui d’avant, pour ses machines agricoles modernes. Et l’histoire d’amour entre Duke Ellington et le château de Goutelas ?

Montfort-L’amaury, qualifié de « bling bled » pour avoir accueilli Brigitte Bardot, Charles Aznavour (qui y est enterré), Johnny Hallyday et son épouse d’alors Sylvie Vartan, et bien sûr Maurice Ravel (bling façon Boléro). Un peu plus loin Neauphle-le-Château hébergea l’ayatollah Khomeini dont on sait la postérité. On apprend qu’à Téhéran une rue porte le nom du village transcrit en «Nofel Loshato». Mais le village, où fut créé le Grand Marnier en 1880 et produit jusqu’en 2012 (tient une délocalisation ?), a aussi eu les honneurs de Marguerite Duras.

Bref l’occasion de faire la connaissance de plein de personnalités, dans tous les domaines, de toutes nationalités, de toutes les époques, qui ont aimé la France et ses villages.
Il y a des manques, bien sûr, mais c’est déjà un beau palmarès. Il n’y a pas que 500 villages en France ni 500 personnalités pour les avoir habités, mais il faudrait un livre trois à quatre fois plus gros pour commencer à en faire le tour avec le risque d’être indigeste. Pas de références, mais cela n’est pas le propos. Ni d’illustrations : cela aurait pris beaucoup de place et le coût s’en serait ressenti. Et c’est l’occasion de se jeter sur Google ou sur sa bibliothèque pour aller «voir». Avant de s’y rendre.

Suggérons qu’à la prochaine édition, ou pour le tome 2, le titre soit changé pour accueillir les lecteurs rebutés par les «mondains» et plus attirés par les «célébrités» ou même plus prosaïquement les «personnalités», qui sont bien les héros de ce guide.

Yves Brocard

(1) Le site du guide

Matthias Debureaux, Guide mondain des villages de France, Allary éditions, 24 mars 2022, 688 pages, 20 euros