Depuis un peu plus d’un an maintenant que l’astromobile Perseverance explore le cratère martien Jezero, la Nasa abreuve quotidiennement les aficionados de l’espace, en images et sons variés. Sur le site dédié au grand public, il est ainsi possible d’entendre les bruits mécaniques (1) du robot exilé et aussi de voir ses traces (ci-contre). Cela n’évoque à dire vrai pas grand chose de supérieur au son d’un vieux caddie de supermarché roulant sur une route pavée, mais le fait que cela se passe sur Mars, à quelques dizaines de millions de kilomètres, change complètement la donne. Pareil pour le vent local dont le souffle nous envoie de sacrés murmures, bien plus exotiques on l’admettra que la tourmente d’un sèche-cheveux en action dans une salle de bains. C’est ainsi, dans le même ordre d’idées que l’on a pu entendre avec un décalage de 16 minutes environ, le vaillant petit hélicoptère Ingenuity faire ses premiers tours de piste, sa parade martienne, dans une indifférence locale inversement proportionnelle à l’effet produit sur nos oreilles.
Transformant le banal en événement, la Nasa s’efforce ainsi de tout nous dire afin de justifier les sommes littéralement astronomiques de l’expédition, en nous faisant part au jour le jour, des conditions météorologiques et de l’agenda de son robot. Et il est même possible de laisser son nom afin qu’il soit embarqué quelque part sur la carte-mère de la prochaine mission, celle qui par exemple reviendra prélever à fin d’expertise, les divers échantillons collectés. Sur Instagram, c’est tous les jours que les très nombreux abonnés peuvent assouvir leur curiosité relative à l’actualité martienne. Heureusement qu’il y a les variations de lumières dues aux horaires des prises de vues, car c’est un peu toujours la même chose, étant donné que le périmètre d’action de l’astromobile, avec ses chenilles déjà ruinées par les roches coupantes, est singulièrement limité. Là encore c’est parce que c’est sur Mars que les vues restent captivantes. On sait en effet, depuis « Seul sur Mars » film de science-fiction américain réalisé par Ridley Scott et sorti en 2015, que l’environnement de la planète dite rouge, ressemble pour beaucoup au désert de Jordanie, là où ont été tournées la plupart des scènes. Quant aux échantillons de roche, il arrive que Mars nous les expédie en direct (2) ce qui pourrait là aussi contribuer à démonétiser à l’avance ceux que l’on pourra ramener à l’horizon 2031, grâce au rover SFR. On en saura alors davantage sur l’emplacement de cet ancien lac qui comblait le cratère. Enfin, si la bêtise humaine, ne nous a pas tous éradiqués d’ici-là. Ce serait vraiment ballot.
Il y a quelque chose d’épique, de poétique, de philosophique, et aussi d’un peu désespéré quand on réfléchit à cette espèce humaine qui expédie ses machines si loin dans l’espace. Hormis les satellites, on en compte un certain nombre qui communiquent encore depuis des lieux improbables. Certains sont devenus muets et gisent bien loin de leur atelier d’origine. Comme la sonde Near Shoemaker qui s’est posée voici 11 ans sur l’astéroïde Éros (ci-contre), identifié le 13 août 1898 par Auguste Charlois et Carl Gustav Witt. Un truc même pas rond, couleur gris sale, avec des cratères d’impact évoquant une maladie vénérienne. Après son « landing » elle a pu émettre des données scientifiques durant une dizaine de jours, juste avant de rendre l’âme. En survolant ce bazar volant depuis une position orbitale, Near Shoemaker a eu le temps de réaliser 160.000 clichés en tout, ce qui là encore, montre bien que question loisirs et paysages, la Terre est un « must to be » irremplaçable. Pour parler comme tout le monde, les expéditions spatiales nous confirment les unes derrière les autres, que nous n’avons pas de maison de rechange.
Le Parisien qui sort en pantoufles acheter ses croissants au petit matin, ne se croit pas pour si peu en sortie extra-véhiculaire, mais s’il va un peu voir sur le site de la Nasa des images d’astronautes en train de réparer quelque avarie sur la carlingue de la station spatiale internationale, il saura mieux pourquoi il effectue cet aller-retour quotidien en sifflotant sans oxygène embarqué, avec une gaieté salutaire. Le colibri qui émet des vocalises réputées complexes avant d’aller chasser les mouches n’en a pas conscience, parce qu’il n’a guère le temps de philosopher sur ces questions-là, vu son espérance de vie réduite à cinq ans. Mais nous, nous avons le temps. C’est ainsi que l’on part de Mars Perseverance pour chuter sur la question colibri. C’est là toute la fantaisie des données émises sur Terre par l’appareil-émetteur des Soirées de Paris.
PHB
(1) Écouter les sons de Mars
(2) Ces cailloux qui nous viennent de Mars
Source image: @Nasa
Merci Philippe, pour cette belle chronique (une de plus) qui va très loin, si j’ose dire. Bien au-delà de l’anecdotique et cela nous ravit.
Tout ce bruit fait contraste avec la mission martienne chinoise dont personne ne parle sans doute par faute d’information. Xi Jinping qui répond habilement à Biden en lui suggérant d’aller décrocher la clarine qu’il a lui-même accroché au cou du tigre nous ferait plaisir en proposant une métaphore dont il a le secret. Philippe pourrait alors nous ravir avec une nouvelle chronique martienne