En piste pour les Beaux-Arts

On peut saisir l’occasion d’une exposition sur le cirque et les saltimbanques au Musée des Beaux-Arts de Rouen afin d’aller se rafraîchir les idées là où le lit de la Seine est bien plus vaste qu’à Paris. Qui plus est dans une ville où les musées sont gratuits. Et découvrir que Max Jacob, dont l’œuvre peint est mal connu, avait réalisé une adroite autant que subtile représentation du monde circassien. Il avait découvert cet univers aux environs de 1905 grâce à son ami Picasso. Fixes ou itinérants, les cirques étaient nombreux à Paris et Max Jacob fit même un texte d’inspiration poétique sur ce thème intitulé « Le cirque de Californie ». Cette gouache ci-dessus (détail), qui date de 1928, témoigne que Max était resté fidèle à cette chorégraphie si particulière, faite de clowns et d’acrobates. L’exposition nous montre aussi d’autres peintures, de Fernand Léger ou de Raoul Dufy, une vue du célèbre Cirque Medrano par Stanislas Lépine, une autre tout à fait remarquable du Cirque Impérial à Paris devenu jusqu’à nos jours le Cirque d’Hiver.

Disséminée sur plusieurs sites normands, l’exposition fait la part belle aux affiches (collections Gérard et Jeanne-Yvonne Borg), la plupart du temps démesurées, puisque c’est ainsi que s’annonçaient les grands spectacles dont raffolait le public. Il nous est notamment raconté cette histoire extraordinaire du débarquement en France du Wild West Show. Il faut se figurer qu’un 27 avril 1889, un bateau, le Persian Monarch, quitte New York sous une pluie paraît-il diluvienne avec à son bord des chevaux et des bisons yankees.  Sans compter William Frederick Cody, que l’on connaît mieux sous le nom de Buffalo Bill et qui avait la réputation d’avoir abattu à lui seul, des milliers de buffles. C’est quand même incroyable de se dire que tout ce bon monde est arrivé à Neuilly en train spécial depuis Le Havre.

Il nous est expliqué que chaque représentation avait mobilisé quelque 15.000 spectateurs avec parmi eux, des célébrités comme Gauguin ou Sarah Bernhardt. La troupe passera aussi à Elbeuf puis à Rouen. La munificence des affiches créées et imprimées  à l’occasion de ce genre de spectacles, allant des cow-boys aux cirques bien de chez nous. Avec une mention spéciale pour celle du Cirque Pourtier, mieux connu par les habitants du nord de la France.

Tout ce beau monde en piste détonne quelque peu parmi les étages du musée rouennais, mais c’est tant mieux. Cela fait venir du monde et incitera peut-être ceux venus pour le cirque à découvrir Vélasquez ou Georges de La Tour et inversement. Car ce musée tient bien son rang. Dans une salle dévolue aux toiles géantes, on tombera par exemple sur cette drôle de représentation (ci-contre) des « Énervés de Jumièges » par Évariste Vital-Luminais (1822-1896) et le visiteur aura tout faux s’il se dit que pour des énervés, ils ont l’air bien calmes sur leur radeau. C’est tout le contraire. puisque selon une légende apocryphe, Clovis II (7e siècle) serait parti en terre sainte en confiant à ses deux fils la gestion du royaume. Les deux malappris en auraient profité pour comploter et faire basculer, à son retour, leur père du trône ainsi que son épouse. Pour les punir on leur coupa les jarrets et on les laissa dériver sur la Seine jusqu’à Jumièges, près de Rouen, justement. Tout est faux. Autant que cette image qui laisse accroire au visiteur ignorant que les deux gars prenaient seulement du bon temps. En fait quand on rapproche le regard, ils ont l’air effectivement un peu las et leurs jambes sont bandées cependant qu’une simple bougie fait office de figure de proue.

Toutes ces époques ordonnées participent au plaisir de la déambulation dans cet aimable musée avec quelques bonnes surprises comme une toile intimiste de Jean-Léon Gérôme (1824-1904), présentant le père et le fils de l’artiste ou encore, dans un genre très différent, une discrète mais remarquable scène de théâtre Félix Valloton (1865-1925), celui qu’Apollinaire jugeait assez injustement « funèbre ».

Entre les scènes de cirque et autres saltimbanques et l’achalandage plus traditionnel des musées voués aux beaux-arts, tout cela fait à la sortie, un joli caravansérail d’images dans notre cerveau transformé en piste de sable. De quoi se laisser tenter par les bancs qui garnissent le petit parc qui fait face au musée. Là où sauf erreur, fut tournée au moins une scène du « Goût des autres ». Ce film qui mettait en scène un industriel normand (joué par Bacri) lequel précisément n’y connaissait rien en art mais en découvrait les possibilités inattendues à la faveur d’une histoire d’amour.

Et quand on s’en retourne à Saint-Lazare avec en tête des affiches de cirques, des toiles couvrant nombre d’époques, l’on éprouve et la difficulté d’en faire la synthèse et aussi un bien agréable sentiment de satiété que la foule du métro parisien a cependant tôt fait de dissiper.

PHB

Le musée des Beaux-Arts de Rouen se trouve sur l’esplanade Marcel-Duchamp à dix minutes à pied de la gare. Gratuit et fermé le mardi. L’exposition « Cirque & Saltimbanques » dure jusqu’au 17 mai

©Photos: PHB

 

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Une réponse à En piste pour les Beaux-Arts

  1. Yves Brocard dit :

    Bien sympathique article sur cette exposition originale et ce musée qui, effectivement, vaut le voyage. J’ai souvenir d’un tableau du Caravage, « La Flagellation du Christ » qu’on ne s’attend pas à trouver dans un « musée de province ». « Un achat très inspiré et relativement récent (1955) » nous dit la notice du tableau sur site du musée.
    Bonne journée

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