Comment ne pas penser à Pavarotti, toutes proportions gardées et bien gardées, pour ce premier récital parisien de l’Américain Michael Spyres lors des Lundis musicaux de l’Athénée lundi dernier ? Même accueil délirant du public, même façon d’établir un contact incroyablement chaleureux. Dès son entrée sur scène, le ténor au sourire conquérant a éprouvé le besoin de nous dire, dans son français un peu haché, «Merci, merci, merci d’être là si nombreux ! Vraiment merci !» comme si c’était une divine surprise, alors qu’il est le seul bariténor au monde de ce niveau, demandé sur les plus grandes scènes. Effectivement la comparaison avec Pavarotti s’arrête là, car leur art du chant et leur répertoire, à quelques Mozart près, n’ont rien de commun. Leur histoire non plus.
L’Italien était né à Modène au sein de la patrie du bel canto, alors que l’Américain est né au fin fond des montagnes d’Ozark, Missouri, terre peu lyrique au possible. Son parcours est un mystère absolu, un miracle tout simplement, car comment expliquer que ce natif de l’Amérique profonde en soit venu à ressusciter sur nos scènes «La nonne sanglante» de Gounod en 2018 et «Le postillon de Longjumeau» en 2019 à l’Opéra Comique, salle Favart à Paris? Tout tient peut-être à son intuition qui lui a fait quitter les monts d’Ozark pour s’envoler vers l’Europe, direction Vienne, où il fera ses classes puis se lancera dans les grands Rossini. La quarantaine passée, il a ébloui les lyricomanes l’an dernier avec son CD «Bariténor», illustrant ce qu’il est seul à pouvoir faire aujourd’hui, servir aussi bien les rôles de bariton que de ténor belcantiste en couvrant trois octaves, descendant dans les graves pour monter jusqu’au suraigu, grâce à son fameux contre-ré qu’il lance à tous les vents avec une incroyable facilité (voir mon article du 14 octobre 2021)?
Lundi soir, à l’Athénée, il a prouvé d’emblée qu’il peut tout se permettre, lorsque son comparse, le pianiste Mathieu Pordoy, nous a annoncé qu’il n’y aurait pas d’opéra ce soir. Imagine-t-on un récital de Pavarotti ou de Kauffmann sans grands airs d’opéra ?
Eh bien ce fut le cas ce soir, même lors des bis. Nous ne nous y attendions pas, pas plus qu’au numéro de duettistes qui nous attendait… Nous n’aurions droit qu’à des «Mélodies et canzone» de Rossini, donc pas de quoi se plaindre. Michael, qui aime beaucoup s’exprimer sur son art ne s’en est pas privé dans le programme, où il raconte comment il a choisi en piochant dans l’abondante œuvre de chambre rossinienne «allant du changement de couches des bébés aux dilemmes philosophiques» : «J’imaginais Rossini au crépuscule de sa vie, dans son salon, rejouant sans cesse les grands événements de sa vie, son exil, la mort de sa femme et celle de ses parents. Je l’imaginais trouver du réconfort dans le souvenir de sa patrie, l’Italie, tandis qu’il vivait les dernières années de sa vie comme étranger en France.» Intéressant, n’est-ce-pas, que le chanteur yankee menant une carrière magnifique en Europe soit si sensible à l’exil parisien de Rossini, au point de nous proposer un voyage à rebours, allant des dernières chansons françaises et ultimes compositions pour piano rossiniennes à ses débuts italiens …
Ce qui nous a permis de découvrir un nouveau Michael loin de ses habituelles flamboyances, quasiment un chanteur de lieder. Avec le même art de tenir le spectateur suspendu à la moindre nuance de son timbre lumineux, et à sa parfaite diction française. «L’âme délaissée», «Elégie (Adieux à la vie) sur une seule note», «Elégie «Au chevet d’un mourant», nous révélaient toute sa sensibilité, et sa science des pianissimi. Sur son beau visage, passait toute la délicatesse du monde, et chaque air s’achevait dans une grande douceur. Mais l’atmosphère changeait avec les airs italiens, «L’ultimo ricordo» et «L’esule» nous rapprochant de l’univers lyrique, et faisant monter la température dans la salle applaudissant chaque air à tout rompre depuis le début, ce qui ne se fait pas d’ordinaire lors d’un récital. Mais avec Michael, comment se restreindre ?
Et plus le temps passait, plus s’affirmait la complicité entre l’interprète et le pianiste et chef de chant français Mathieu Pordoy, fort réputé. Visiblement, ils adorent se produire ensemble, se congratulent, s’applaudissent, se livrent à des gags, Michael baisant fréquemment la main de Mathieu. Tout ceci contribuant à l’euphorie des spectateurs, tandis que l’exubérance des débuts rossiniens nous permettait de retrouver notre Michael dans toute sa fougue et sa science inégalée des suraigus.
Il rayonnait de bonheur pour son premier récital parisien, tandis que le public de l’Athénée le poursuivait jusqu’au bord de la scène et ne voulait pas le lâcher.
Lise Bloch-Morhange
«Requiem» de Verdi, Orchestre National de France, Daniele Gatti direction, Michael Spyres ténor, 3 et 5 février 2022, Théâtre des Champs-Elysées,
Les Lundis musicaux de l’Athénée, avec notamment le prochain récital de Marie-Laure Garnier le 14 février 2022
Festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence 2022: Michael Spyres se produira dans le rôle-tire d’«Idomeneo» de Mozart et dans le rôle de Pollione dans «Norma» de Bellini en version de concert
Photo: ©LBM
Chère Lise,
je suis désolé que vous ne suscitiez pas plus d’intérêt avec votre belle chronique. Je confirme que les lundis musicaux de l’Athénée sont toujours propices à de belles découvertes.
Etant non vacciné, donc un criminel de guerre pour beaucoup de nos amis à tête de linotte, je n’ai pu venir aux lundis de l’Athénée depuis plus de six mois…
Merci d’être mon oeil et mon oreille… par procuration pendant que j’accomplis mon injuste peine culturelle (sans avoir le moindre casier judiciaire et étant généralement considéré comme un gentil garçon)
J’ajouterai que votre regard et votre écoute sont toujours d’une grande pertinence !
Merci, donc
Cher Philippe Person, je vous rassure, les articles de Lise Bloch-Morhange sont appréciés par de nombreux lecteurs, comme vous. Le succès des articles n’est pas toujours corrélé avec la quantité des réactions. PHB
Merci cher Philippe,
de vos compliments qui me vont droit à l’oreille et au coeur!
Je n’aurais pas pu, comme vous, me priver de musique pendant si longtemps, elle m’est trop indispensable. J’en écoute bien sûr chez moi, mais la salle a quelque chose d’irremplaçable.
Et effectivement, le programme de l’Athénée est remarquable, d’une vraie
originalité, et il faut en savoir gré au pianiste Alphonse Cemin pour les Lundis musicaux, dont la tradition remonte au déluge avec Pierre Bergé.
Je garde espoir de vous croiser bientôt en ces lieux bénis!