À la gloire de Boby le Piscénois

Virtuose des calembours et contrepèteries, spécialiste des jeux de mots approximatifs, expert en vers boiteux et rapprochements intempestifs, Boby Lapointe n’avait aucun maître. On a beau chercher parmi ses glorieux aînés, lorgner du côté de Gaston Ouvrard (celui de La rate qui s’dilate), ou se souvenir de son contemporain Francis Blanche (Débit de lait, débit de l’eau), le compte n’y est pas. Le chanteur qui commença sa carrière dans les cabarets parisiens au tout début des années 1960 était unique dans sa catégorie. Il ne ressemblait à personne et jusqu’à ce jour personne ne lui a ressemblé. Son nom est-il encore connu de tous ? Pas nécessairement. Mais fredonnez « Avanie et Framboise » («les mamelles du destin») ou « Aragon et Castille » («Au pays daga d’Aragon/Il y avait tugut une fille») vous verrez immédiatement un sourire sur les lèvres de votre interlocuteur.

Vous pouvez encore tenter Le Tube de toilette (« En chantant sur cet air bête/Avec des jeux de mots laids/Il faut pondre des couplets »)  ou La « Maman des poissons » («La maman des poissons elle a l’œil tout rond/On ne la voit jamais froncer les sourcils/Ses petits l’aiment bien, elle est bien gentille/Et moi, je l’aime bien avec du citron»), les mélodies traînent encore souvent dans les oreilles. Et chaque chanson est un véritable cabinet de curiosités.

C’est ce personnage unique, né il y a 100 ans (16 avril 1922), décédé à l’âge de 50 ans il y a 50 ans -sans doute son ultime farce- que sa ville natale Pézenas, dans l’Hérault, fête cette année. Et comme Boby n’aimait rien tant que la blague, voilà que notre homme partage les honneurs avec le plus prestigieux des auteurs de comédies, le plus mondialement connu des inventeurs de théâtre : Molière que les Piscénois (habitants de Pézenas) revendiquent comme un des leurs, puisque c’est dans cette ville que la compagnie créa ses plus grandes pièces, révélant le génie de son auteur.

Ce rapprochement aurait sans doute fait marrer le bonhomme dans sa barbiche. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de la vie anthume et posthume de ce personnage éminemment sympathique qui avant d’être chanteur exerça les métiers les plus divers, depuis poseur d’antennes de télévision jusqu’à scaphandrier. Il en concluait que sa carrière avait connu «des hauts et des bas». Ne trouvant pas d’interprètes (les Frères Jacques l’encouragèrent, mais renoncèrent devant la difficulté), Boby dut se résigner à chanter lui même ses compositions.

Il se produisit d’abord sur la scène minuscule du Cheval d’or, rue Descartes, où il croisa notamment Anne Sylvestre qui enregistrera plus tard un titre avec lui: « Le Prince charmant ». Le talent original de Boby fut vite reconnu à sa juste place à la fois par ses pairs et par les journalistes. L’un d’eux note avec justesse que Boby Lapointe est à la chanson «ce que les Marx Brothers sont au cinéma». La rencontre avec Truffaut fut déterminante. Le cinéaste l’engagea pour une scène dans laquelle il jouait son propre rôle (« Tirez sur le pianiste », avec Charles Aznavour). Comme ses textes sont particulièrement difficiles à décrypter, Boby devint «le chanteur sous-titré». De son côté, Georges Brassens, déjà tout en haut de l’affiche, lui proposa d’assurer la première partie de ses spectacles. À l’époque où tous les jeunes gens s’abîmaient les doigts sur de mauvaises guitares pour retrouver les accords du Gorille ou de L’Auvergnat, Boby enseigna la… «guitare sommaire» qui se résumait aux deux accords « bling » et « blang » sur trois cordes.

Mais son instrument fétiche, ce fut bien l’hélicon, ce gros tuba qui transforme celui qui le joue en une sorte de bibendum Michelin. Les photos le montrent souvent vêtu d’une marinière, le visage béat et soufflant dans l’instrument. «Boby, mais c’est un hélicon libre!» déclarait l’un de ses admirateurs. L’instrument est aussi le sujet d’une chanson de 1963, année d’un autre… tube «La peinture à l’huile», sur un rythme faussement hawaïen.

Sur sa tombe à Pézenas, ses amis ont fait graver sur la pierre un dessin de l’instrument (photo ci-contre). Les amateurs de Boby s’y rendent pour d’affectueuses révérences, souvent après avoir visité le musée, installé dans l’enceinte de la maison du Barbier Gély, que fréquentait le jeune Molière.

En avril, différents manifestations marqueront joyeusement le centième anniversaire de la naissance du chanteur. À une quarantaine de kilomètres de Pézenas, la ville de Sète fêtait l’an dernier la naissance, cent ans plus tôt (1921), de son fils le plus illustre, Georges Brassens. Les deux hommes étaient liés par une profonde amitié. Il ne pouvait en être autrement et la disparition de son copain Boby avait été douloureusement ressentie par le chanteur de Sète. «Mon vieux Bobby, écrivait-il, fais croire à qui tu veux que tu es mort ; avec nous, les copains, ça ne prend pas». Pour les Piscénois, ça n’a jamais pris.

Gérard Goutierre

 

Musée Boby Lapointe 1 place Gambetta, 34120 Pézenas
Week-end anniversaire du 15 au 17 avril
Printival Boby Lapointe (festival de chansons françaises) du 26 au 30 avril
09 50 53 46 58

Image d’ouverture: couverture de la biographie publiée par sa sœur Huguette Lapointe en 1980 ©DR (et tombe)
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2 réponses à À la gloire de Boby le Piscénois

  1. Gérard Capelle dit :

    Voici un lien vers l’hommage de Pierre Louki à Boby
    https://youtu.be/IaZwJBtUZOc

  2. GUINARD CAROLE dit :

    Merci pour ce bel hommage au joyeux luron de Pézenas. Pas étonnant que Georges Brassens et lui aient été amis : deux amateurs de facéties verbales et de jongleries lexicales !

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