La seule page cornée à l’intérieur de cette édition (moisie) du « Médecin des pauvres », figure à la rubrique apoplexie. La personne touchée par ce qui bien souvent se termine par un décès, a-t-elle eu le temps en attendant le médecin et selon les recommandations du livre, de prendre un bain de pieds au vinaigre additionné de cendres ou de moutarde? Le bon docteur Beauvillard ajoutait que si l’homme de science tardait trop à venir, il convenait alors de disposer des sangsues sur l’anus du désespéré. Mais surtout, concluait-il à l’adresse des anxieux, s’ils ne voulaient pas qu’un tel désagrément se produise, le mieux était de boire régulièrement de l’infusion de salsepareille ou du thé des Chartreux. Produits que l’on pouvait commander dans son établissement médical qui se trouvait non loin de la gare de Lyon à Paris. Ses conseils lui étaient donc, en dépit de ses revendications humanistes, au premier chef profitables. Sans compter que dans cette édition de 1919, soit deux ans après l’achèvement de ce bréviaire des indigents, se trouvait une seconde partie bien plus amusante.
Notamment page 162 en ce qui concernait les « maladies secrètes et contagieuses » dont nous n’avons pu vérifier si elles existent toujours dans les nombreuses rééditions qui ont suivi jusqu’à aujourd’hui. Ces maladies étaient les blennorragies, chaude-pisse, chancres-mous et autres avatars du genre que l’on peut attraper par manque de précaution lors de relations sexuelles. Là encore il proposait sans entrer dans les détails, un remède qu’il se proposait d’expédier sous pli confidentiel pour 12 francs et soixante-quinze centimes. Il existait même un volume spécial sur le sujet, livrable par correspondance.
Le guide comportait une section vétérinaire destinée par exemple à soigner les ballonnements des vaches grâce à un élixir météorifuge « efficace en quelques minutes ». Mais le plus cocasse est que ce bon docteur avait également conçu une poudre excitante dont l’objectif était de « mettre en chasse », en « chaleur », les juments, les chèvres, les truies ou les brebis. La poudre était à diluer dans un demi-litre de vin blanc et Beauvillard assurait ses lecteurs que l’excitation produite sur les bêtes avait suscité de nombreuses félicitations écrites des éleveurs.
Paragraphe qui l’autorisait quelques pages plus tard à traiter de « l’impuissance chez l’homme et la femme », une « déperdition de la force » pouvant les rendre « tristes et hypocondriaques ». Il n’y avait pas selon lui, à « rougir », de la perte de l’appétit sexuel et du désir de le recouvrer. Car expliquait-il, « ces forces sont tout à fait indispensables à l’union matrimoniale. Sans elles, le ménage le plus uni se désagrège, la moralité domestique disparaît pour faire place à des ennuis de tous genres, tandis que la puissance sexuelle est le lien le plus solide entre époux; c’est aussi la distributrice des joies de la vie et de la justice qui régit les sociétés ». Afin de retrouver cette ardeur bienfaisante, le docteur excluait les aphrodisiaques courants, au profit du thé du Paraguay et là encore, il vous expédiait ça vite fait, moyennant « lettres et mandats à MM.Féron et Beauvillard, 21 rue de Lyon, 32 et 35 rue Crémieux ». En cas d’urgence et pour peu que l’on ait le téléphone ce qui était à cette époque bien peu fréquent (1919…), on pouvait toujours joindre sa réception en composant « Roquette 28-49 ».
D’après la couverture de l’ouvrage que nous avons eu sous les yeux, le tirage de cette médecine des pauvres était de 500.000 exemplaires par an. Après quelques jolies pages illustrées par des plantes médicinales, une note d’intention soulignait (y compris quelques piques senties à l’adresse des « Boches » et les « Prussiens ») qu’avec une bonne hygiène, l’usage modéré du vin et du tabac, on pouvait vivre mieux. Et même, vivre plus longtemps, du moins si l’on voulait bien orienter son lit nord-sud afin de bénéficier dans le bon sens des flux magnétiques.
Il semble en revanche que personne n’ait jugé bon, au début de ce 20e siècle, de se lancer dans un guide médical à destination des riches, car les bonnes adresses circulaient entre pairs. Pourtant on aurait bien aimé savoir, entre autres choses, si eux aussi devaient soigner leurs attaques d’apoplexie par l’application de sangsues vivantes dans la zone ano-rectale. Sans compter qu’il fallait, sauf élevage de précaution à la cave, les dénicher de toute urgence.
PHB
Ce docteur Beauvillard n’est pas si anachronique puisqu’il a de nombreux descendants parmi celles et ceux qui, sans en avoir la moindre véritable qualité, s’établissent aujourd’hui « guérisseurs » ou mieux, beaucoup mieux, « thérapeutes », ce qui fait encore nettement plus sérieux et efficace que ça en a l’air !