C’est déjà Noël à la Seine Musicale

Quel est donc cet étrange vaisseau de lumière brillant de mille facettes au bout de l’ile Seguin, dans la nuit de Boulogne-Billancourt ? On s’en approche en franchissant à petits pas la pente abrupte du pont le reliant à la terre ferme, saisis par la perspective immense baignée par les flots sombres de la Seine roulant au pied du vaisseau de lumière. Quelle approche spectaculaire ! Quelle belle mise en condition pour la soirée qui s’annonce ! Surtout quand c’est Bach qui nous a donné rendez-vous, en ce 9 décembre 2021…
On peut compter sur la maîtresse du lieu, la cheffe Laurence Equilbey, qui règne depuis son ouverture en avril 2017 comme directrice musicale chargée d’une partie de la programmation de l’Auditorium. Ses deux formations y sont en résidence : le chœur de chambre accentus (sans u majuscule) fondé il y a vingt-huit ans (!), et l’orchestre Insula Orchestra sur instruments anciens fondé en 2012 par cette élève du défunt pape du baroque Nikolaus Harnoncourt. Ses deux formations sont réclamées partout depuis longtemps, et récemment, la maestra s’est mise à leur tête pour diriger à l’Opéra Comique une résurrection très remarquée de «La Nonne sanglante» de Gounod (voir mon article du 8 juin 2018) et promener en Europe le chef d’œuvre de Weber « Der Freischütz » si admiré par Offenbach.

La cheffe est connue pour présenter à la Seine Musicale toutes sortes de spectacles originaux, comme cette «Création» de Haydn puis «La Symphonie pastorale» de Beethoven mises en scène par la détonante troupe avant-gardiste Furia dels Baus, et s’apprête à secouer à nouveau la tradition classique en montant en mai prochain un «Fidélio» de Beethoven avec le metteur en scène de théâtre iconoclaste David Bobée. Secouer le classique, inviter de grands chefs in situ, s’investir dans la transmission auprès des jeunes chanteurs comme des jeunes publics, elle a même été donnée un moment favorite comme future nouvelle patronne de l’Opéra Comique, mais maestro Louis Langrée l’a finalement emporté, la critique le saluant comme «the right man at the right place» (toujours un homme, naturellement).

À la Seine Musicale, Laurence Equilbey est bien «the right woman at the right place», elle qui fut une si jeune cheffe pionnière, et garde à cinquante-neuf ans une silhouette élancée en tailleur pantalon noir sur le podium face à ses troupes, qu’elle dirigeait sans baguette le 9 décembre dernier mais à grand renfort de vastes mouvements des bras. Elle est vraiment chez elle dans cet Auditorium par lequel on accède via un escalator jusqu’à de grandes coursives comprenant 700 mètres carrés de charpentes croisées en bois et 4.000 mille mètres carrés de vitrage ouvrant sur les mystérieuses perspectives nocturnes de la Seine bordant les berges d’Issy-les-Moulineaux. Le bois règne aussi dans cet Auditorium, courant tout autour en vastes panneaux blonds sculptés d’un léger relief accrochant le son et la lumière, entourant la scène de tous côtés selon le schéma moderne dit «en vignobles» (comme à l’Auditorium de la Maison de la Radio et de la Musique ou la grande salle de la Philharmonie), et montant jusqu’au plafond en nids d’abeille fait de carton écologique. Les fauteuils apportent leur note rouge chaleureuse dans cette salle intimiste de 1150 places, où la maestra nous donne ce soir «Oratorio de Noël Partie 1», soit les cantates n°1, 2 et 3 composées et données par Johann Sebastian Bach de Noël 1734 au 6 janvier 1735 à Leipzig. «Chez Bach, c’est tous les jours Noël !» nous raconte le programme, précisant que ce protestant luthérien ne fête pas seulement le 25 décembre mais aussi les deux jours suivants puis le 1er janvier, puis le dimanche suivant et enfin l’Epiphanie ou fête des Rois Mages le 6 janvier, et que les six cantates ne se donnent pas à la suite comme le Messie de Haendel par exemple, mais au jour dit.

La première cantate s’ouvre par une page triomphante du chœur (merveilleux chœur accentus) soutenu par des timbales et trois longues trompettes d’époque clamant «Exultez, jubilez». L’évangéliste suit, le ténor Julian Prégardien, ah ce Julian dont je guette chaque apparition, chaque disque, ce jeune fils de son père, l’illustre maitre es lieder Christoph Prégardien (voir mon article du 3 septembre 2019). Et même si les cantates ne sont pas aussi solennelles que les deux fameuses Passions, le timbre de Julian nous plonge à la seconde dans le souvenir de ces grandes pages bibliques dont nous avons gardé intactes à l’oreille, depuis notre enfance, la sonorité, les accents, les thèmes inoubliables. Outre Julian, les quatre solistes ont été choisis par Laurence parmi les grands interprètes actuels de Bach marchant sur les traces de leurs ainés, nous plongeant dans la béatitude d’autrefois. C’est vraiment Noël avant l’heure, et cette profonde joie et harmonie de Bach qu’on retrouve aussi chez Mozart.

La deuxième cantate se fait plus pastorale, où les bergers craintifs découvrent le miracle de l’incarnation, et dansent au son des timbales, des hautbois et des flûtes. Groupé sur scène sur la droite, un remarquable ensemble de deux flûtes, un basson, deux hautbois et deux hautbois de chasse (beauté de ces instruments d’époque…) ne va plus nous lâcher, dialoguant avec les voix solistes, nous rappelant à nouveau la quintessence même de l’âme de Bach. La troisième cantate retrouvera la fièvre du début, s’achevant dans l’apothéose du choral.

Toujours inventive, la grande prêtresse en titre a souhaité faire entendre les trois autres cantates de l’Oratorio de Noël, les programmant après la nouvelle année avec des interprètes entièrement différents.

Lise Bloch-Morhange

La Seine Musicale, Accentus, Insula Orchestra,
« Oratorio de Noël » Partie 2, le 8 janvier2022, chœur Purcell, orchestre Orfeo, György direction Vashegy
Mozart à Prague, 8 et 9 février 2021
La Seine Musicale
« Roméo et Juliette », Benjamin Millepied, du 13 au 22 janvier 2021
Moussorski-Tableaux d’une exposition, Dvorak Concerto pour violoncelle, le 21 janvier 2022, direction Alain Altinoglu, Edgar Moreau violoncelle

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3 réponses à C’est déjà Noël à la Seine Musicale

  1. Solange Aincy dit :

    Merci Lise pour cet article si « sensible ». J’ai eu la chance d’écouter ce programme le deuxième jour, moments magiques.

  2. Ariane Chabrol dit :

    Merci de nous faire vivre et de me fait revivre cette magnifique soirée à la Seine Musicale. La beauté s’y expose en extérieur et en intérieur ; sublimée par cette superbe interprétation de la cheffe Equilbey and Co .

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