Loustal s’invite à Matignon

Jacques (de) Loustal nous a habitués depuis longtemps, à aller bien au-delà des considérations figuratives, bien au-delà du simple copier-coller paysagiste. Son inspiration onirique, transposée en peinture, est garnie de mystères, de symboles. Les surréalistes l’auraient sûrement adoubé. Sa marque de fabrique est reconnaissable à dix pas. Comme en musique et notamment en jazz, genre qu’il affectionne, certains ont un « son », un style identifiable immédiatement.  Chez lui c’est pareil. Ainsi dans sa toile « Un livre remarquable » (ci-dessus), la femme qui est en train de lire le fait dans un univers de type psychanalytique. Elle est en robe bleue, ses épaules sont nues et son regard est un mélange subtil de concentration, de distinction et de dédain. Elle est assise sur une banquette rouge. Dans un décor épuré et par ordre d’éloignement, un chien domestique semble patienter à ses pieds, puis une table basse garnie d’une bouteille et de deux verres, une grande baie vitrée, un paon, une piscine, la mer et enfin une île. Tout l’univers de Loustal est bien là dans une succession de plans, d’arrière-plans et de détails qui n’en sont pas. L’auteur, tel le maître des horloges, sait arrêter le temps. Et nous avec.

Vous qui badez du côté des Champs-Élysées, allez donc faire un tour au 36 avenue Matignon. Loustal y expose ses « Ultramarines » jusqu’au 8 janvier, sans compter quelques portraits acidulés. Ce serait dommage de manquer cet artiste important et ses plans d’évasion. Les personnages qu’il représente rêvent face à l’horizon, devant un aquarium, devant un bateau, une belle carrosserie américaine ou encore une villégiature de bord de mer. Cela fait maintenant un moment, au sortir de ses études d’architecte (aux Beaux-arts, né en 56), qu’il peint et dessine en liberté sans autre académisme que le sien, étant autodidacte. S’il admet cependant des influences en provenance de maîtres tels Matisse, Modigliani, Gauguin, Beckman, Hockney, Loustal fait surtout du Loustal, puisant dans ses voyages, son imagination et ses photographies, ses transpositions à l’huile ou à l’aquarelle. Sans compter un procédé peu connu de « fixé sous verre » conférant à ses portraits une brillance, un scintillement, magnétiques et séduisants en diable.

L’un de ses (nombreux) albums les plus remarquables est « Zenata plage », paru en 2002 aux éditions Magic-Strip. On y voit des personnages égarés sur les plages, pratiquant le farniente, tentant de tromper l’angoisse, l’ennui et la chaleur. Dans cet ouvrage, il agrémente ses images aux cadres savamment gondolés de légendes à la fois plates et poétiques qui correspondent bien à l’ambiance, celle qu’il impose en douceur. Auprès d’une jeune fille qui bronze sur un carrelage en monokini, une cigarette écrasée sur le sol, ce fils de général de division écrit: « Sur cette petite fille de colon qui fume des « Koutoubia », il y aurait beaucoup à dire… » Ce faisant Loustal libère notre imagination, nous laisse écrire la suite de notre choix, c’est son don propre.

Et puis au 36 avenue Matignon, il y a aussi ses portraits lumineux, glamours au possible, un peu fauves sur les bords, fixés sous verre. Une technique très particulière explique-t-il, celle consistant notamment à peindre et signer à l’envers. Ce sont surtout des visages de femmes, soit un mélange de vulgarité sophistiquée, de sensibilité contenue et de grande élégance que n’aurait pas renié en son temps un Kees Van Dongen. Les couleurs sont puissantes, rehaussées par la technique du fixé sous verre avec un cerne noir omniprésent. Leur capacité singulière à mettre notre regard en captivité (consentie) nous fait tâter de la main notre porte-monnaie d’autant qu’ils sont assez abordables.

« C’est ça la liberté, dit-il, liberté de choisir son paysage, liberté de composer ses images, qui sont juste l’addition du plaisir de peindre et de la liberté de voyager ». Loustal nous fait voyager sans ticket, loin des contrôles aéroportuaires, loin des foules, il nous invite à contempler ce qu’il a vu, des scènes bien heureusement éloignées de nos quartiers et qui racontent toujours quelque chose. De pas forcément dicible, mais ses images qui suscitent une saine (ou malsaine) envie, sont là pour compléter les termes qui nous viennent à l’esprit.

PHB

« Loustal Ultramarines », galerie Huberty&Breyne, 36 avenue Matignon, jusqu’au 8 janvier

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2 réponses à Loustal s’invite à Matignon

  1. A mon sens, un tel artiste mériterait vraiment d’avoir à sa disposition un bien meilleur métier de peintre. Ce serait alors parfait !

  2. Brocard Yves dit :

    Belle découverte que cet artiste, dont Wikipédia nous dit qu’il est prolifique, mais que je ne connaissais pas. Il était temps. Il faut dire que je ne suis pas un consommateur de BD, ce qui explique sans doute être passé à côté. Je pense aussi que, pour l’apprécier, il faille connaître son œuvre, et donc aller voir au 36 avenue Matignon.
    Bonne journée

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