La séduction des anciennes peintures chinoises est due aux textes variés qu’elles contiennent, de l’indication pratique aux annotations poétiques. Sur deux au moins, présentées actuellement au musée Cernuschi via une animation féérique qui nous attend dès le vestibule, on peut en découvrir la simple et merveilleuse traduction. L’une dit: « Libres comme si nous chevauchions le vent. » Et sur l’autre il est écrit « Aussi légers que si nous avions quitté le monde des hommes. » Cette exposition, qui vient de débuter, s’intitule « Peintres hors du monde, moines et lettrés des dynasties Ming et Qing ». Soit cent chefs-d’œuvre venant de Hong Kong et collectés en son temps par l’amateur Ho lu-kwong (1907-2006). Il avait baptisé sa collection du nom de « Chih Lo Lou » soit en français, « Le pavillon de la félicité parfaite ». Ce qui laisse supposer qu’il est des félicités imparfaites, mais c’était sans doute une façon de mieux communiquer son enthousiasme. Sur ce plan-là, c’est réussi et le musée nous fait entrer de plain-pied dans un monde de raffinement dont nous ne nous soupçonnions pas privés à ce point.
Une notice plutôt bienvenue, nous explique dès le départ que la représentation d’un paysage ou d’une scène quelconque, s’accompagne de multiples caractéristiques. Sur un rouleau vertical ou horizontal, il faut en effet compter avec le cordon, la baguette de suspension, le ciel, les commentaires, des références pouvant être ajoutées au cours du temps par l’artiste ou l’acheteur, le titre, un poème, la datation ou l’âge de l’artiste, ainsi qu’un ou plusieurs sceaux eux-mêmes indicatifs. C’est cet ensemble copieux qui participe au charme si singulier de ces œuvres s’étalant entre 1368 et 1644 pour la période Ming et jusqu’à 1912 pour la période Qing. Tout à la fois poètes et peintres, ces hommes lettrés, tels Shen Zhou, Wen Zhengming ou encore les moines Bada Shanren et Shitao, avaient choisi de s’éloigner du monde afin de mieux exprimer leur art chargé de rêves si subtils.
En se commentant lui-même, Mondrian avait écrit « une peinture plane dans le plan ». Face à ces peintures agrémentées de textes ou ces calligraphies montrées pour la première fois en Europe, on serait tenté de dire qu’une poésie plane dans le plan, tellement l’image et l’écriture semblent se faire écho. On aurait aimé à ce propos une traduction systématique de ces merveilles, mais ce qui nous est donné partiellement, nous envoûte déjà beaucoup.
Les calligraphies stricto sensu ne sont pas loin de produire le même effet puisque l’écriture chinoise comporte en soi l’image et le mot, ce qui au passage, était le cas il y a bien longtemps de notre écriture à nous. Sauf que nous n’écrivons plus au pinceau, de surcroît de haut en bas, tels Zhang Ruitu ou Fu Shang, ce dernier affirmant avec un discernement significatif de son état d’esprit, qu’il préférait « le gauche à l’habile, le laid à l’élégant, le spontané au prémédité ». Même sans rien y comprendre, les encres sur soie de ces artistes séduisent l’œil. C’est là toute leur force mais on peut imaginer qu’un Chinois ne parlant que le chinois serait également conquis par une toile moderne avec des termes incrustés dans une langue occidentale. C’est l’homogénéité d’un ensemble avec ses teintes, qui va fonctionner ou pas. Nous en avons ici une brillante démonstration. Dans de rares cas, il n’y a qu’un sceau, tel ce poisson exécuté par Zhu Da (dit Bada Shanren). Mais le sceau comporte on l’a dit, un message, des éléments d’information, dont on aurait apprécié là aussi, qu’une main secourable en perçât pour nous le mystère.
Sur le chemin de la scénographie, on ne manquera pas l’œuvre de Qiu Ying (période Ming), une encre sur soie, titrée « L’éveil du dragon ». Elle procure comme un décollage des sens, un tel réveil au songe et à la poésie, qu’à elle toute seule, on en bénit l’instant de sa contemplation. À Cernuschi en ce moment, la félicité -parfaite, c’est à voir- se tient en embuscade. Les visiteurs en sont les victimes consentantes.
PHB
Cher Philippe,
Merci toujours pour les raffinements de votre écriture. Je me rendrai à cette exposition si parfaite et en profiterai pour me promener au parc Monceau qui doit être plus paisible en cette fin d’automne.
Amitiés. Tristan Felix
oui merci pour votre enthousiasme communicatif !
Quelle subtile et convaincante invitation à la contemplation poétique !!
Merci, cher Philippe, pour ce bel article.