Un bon moyen d’agrémenter une journée plate comme un premier novembre consisterait, c’est un (bon) conseil, à revoir « La Traviata » de Verdi donnée à l’Opéra de Salzbourg en 2005, soit deux heures et dix-huit minutes de parfait bonheur sur Youtube. Idéal pour les germanophones, car les sous-titres sont en allemand. Dans un cinéma UGC jusqu’au 4 novembre c’est (un peu) plus proche de l’ambiance de l’Opéra, assis dans des fauteuils, avec d’autres spectateurs, pour vivre ensemble l’expérience sur grand écran. Et quel spectacle ! Fini le décor de salle de bal où les fêtards en habit XIXe siècle font semblant de s’amuser. Ici le décor, grandiose, est minimaliste, immense, tout blanc, ou presque. Les chanteurs aussi sont habillés de façon sobre, tous, hommes et femmes compris, en costumes noirs et chemises blanches, sauf Violetta qui arbore une «irrésistible» robe rouge. Ce n’était pas encore la mode des décors indigents, faits de bric et de broc, de récupérations de spectacles précédents, et de chanteurs habillés « comme tous les jours », comme les gens qu’on croise dans la rue, ou les collègues au travail.
Ici décors et costumes sont là pour mettre en valeur les chants, la musique et ceux qui les interprètent, un peu comme un écrin, est là pour mettre en valeur le diamant qu’il contient. Et les interprètes ? Côté musique le Wiener Philharmoniker, et l’Orchestre de scène Mozarteum de Salzbourg, conduits par Carlo Rizzi. Rien que du très bon.
Côté chanteurs, Anna Netrebko dans LE rôle de Violetta. Une révélation, pour moi et pour le public. Un jeu subtil, enthousiasmant, brillant, infatigable, sans vulgarité, alternant joies et désespoirs, comme le livret le veut. Sa joie, un peu exubérante, au moment des saluts est communicative, les applaudissements redoublés, standing ovation, lui répondent. Elle a été si bien été adoptée par le public autrichien que, l’année suivante, elle a demandé et obtenu la nationalité autrichienne.
Son amoureux éperdu, et perdu, Alfredo, c’est Rolando Villazon : il est à l’unisson. Thomas Hampson avec sa superbe voix de baryton (ma voix préférée avec le baryton basse !) est toujours impressionnant et «vrai» dans son rôle de père d’Alfredo, qui cherche à défendre son honneur et celui de ses enfants. Herman Wallén, avec sa présence obsédante dans les habits sinistres du Docteur Grenvil, incarnant la mort qui rôde, a le mauvais rôle. À l’époque, et jusqu’aux années trente, on guérissait rarement de la tuberculose. Jusqu’à ce que le vaccin miracle, le BCG, mette fin à ce fléau. Il faut aussi mentionner la centaine (je les ai comptés) de choristes des Chœurs du Wiener Statsoper. Là aussi sobres et puissants.
Mais comme le souligne Alain Duault dans son «Guide du disque compact classique», qui fut ma bible pour repérer, décrypter la musique classique et en débusquer les meilleurs interprètes : «…ce qui fait choisir une version de La Traviata plutôt qu’une autre, ce n’est pas la qualité du ténor ou du baryton, ce n’est même pas le chef d’orchestre, c’est uniquement la Violetta». À l’époque de l’écriture de son guide, en 1994, Anna Netrebko ne s’y était pas encore risquée et, pour Duault, «LA Violetta» était Maria Callas en 1955.
Seule petite ombre au tableau, c’est le camélia, qui fait un peu toc, un peu plastique, même pas en tissu. On doit pourvoir trouver mieux comme accessoire. Mais il joue ici un tout petit rôle. Et comme le dit Alain Duault, qui n’en finit pas de ne pas vieillir, et à la cravate toujours impeccable, «et si à la fin vous avez une petite larme, laissez-là couler». Je le site de mémoire, et il a dû le dire autrement, mais je crois avoir transcrit l’esprit. Et j’ai fait comme il a dit.
Yves Brocard
La traviata, concert 2005, sur Youtube
Illustration d’ouverture: ©PHB
Merci pour cette analyse et ces ressentis sur les artistes. Cela donne envie de courir à l’UGC tant que le spectacle y est programme.
En son temps (déjà lointain) j’avais adoré la version Ileana Cotrubas/ Placido Domingo et je vais me laisser tenter par celle que vous proposez…
C’est en fait la version que recommande Alain Duault dans son guide, arguant que celle avec Callas de 1955 est quand même un peu crachotante.