Mina, jeune mère d’une petite fille sourde et muette, ouvrière dans une usine, rend une dernière visite à la prison où son mari condamné à mort par la justice iranienne va être exécuté. Ce sont les tout premiers instants du film «Le pardon», signé Maryam Moqadam et Behtash Sanaeeha, deux réalisateurs iraniens. Rien dans ces images, ni dans les rares paroles qui sont prononcées ne laisse penser à un quelconque crime politique comme on pourrait trop vite l’imaginer en cédant à quelque cliché. D’ailleurs le scénario évacue en dix minutes tout ce qui pourrait nous égarer dans des spéculations de ce genre : quelque temps après l’exécution de son mari, Mina est convoquée par le tribunal qui lui expose froidement que son mari a été victime d’une erreur judiciaire sur la base de témoignages sciemment mensongers. C’est la faute des témoins, pas celle des juges.
Bien plus que la scène d’ouverture qui prélude à l’exécution, c’est l’aveu de l’erreur fatale qui constitue le point de départ du film. Pardonne-t-on à la justice ? Pardonne-t-on aux juges ? La peine capitale peut-elle être une erreur ? Qu’efface «le prix du sang» quand ce sang a été versé inutilement ?
«Le pardon» est une succession de questions illustrées par l’irruption d’une succession de personnages secondaires dans la vie quotidienne de Mina. Chacun de ses personnages donne un petit coup dans un récit qui pourrait pécher par trop de linéarité ou trop de prévisibilité. Et d’apparition en apparition, le beau-frère, la voisine, l’homme inconnu font déraper la vie en pente de Mina. Ce ne sont pas des revirements spectaculaires. Juste la somme des petites mesquineries de ceux qui veulent faire tomber plus faibles qu’eux.
Difficile de savoir ce que «Le pardon» dit de la réalité de la vie d’aujourd’hui à Téhéran. Les voisins et la famille s’offusquent de la présence d’un inconnu aux côtés de la jeune veuve et font alors tout pour rendre sa vie précaire plus précaire encore. Elle en souffre mais ne se révolte pas, ne s’effondre pas, ne crie pas. Elle a déjà enduré la pire des injustices. Mina semble en mode survie, elle veut rester debout et c’est déjà pas mal. Elle n’ose même pas expliquer à sa petite fille que son père est mort. Il ne reviendra pas, c’est tout. Et quand la vie pourrait lui ouvrir une fenêtre vers un futur plus souriant, Mina ne s’inquiète pas de savoir si elle sera jugée. Elle a deux lignes intangibles qui structurent sa vie : préserver sa gamine et obtenir de rencontrer les juges pour les confronter à leur faute irréparable.
Est-ce plausible dans le Téhéran d’aujourd’hui ? «Le pardon» n’a pas de prétention documentaire sur le sort que la société iranienne réserve aux jeunes veuves. Il aurait presque l’ambition inverse : quel regard porte une jeune femme sur une société dont la justice l’a faite veuve ? Derrière son chagrin et son apparente résignation, Mina ne lâchera rien. Les réalisateurs réussissent ce pari de déjouer tous les pièges de la facilité mais aussi de la gravité moralisante. Mina n’est pas une mère-courage. Mina n’est pas une victime. «Le pardon» ne nous demande jamais de pleurer sur son sort. Juste de suivre une femme simple et droite.
Marie J
« Le pardon », film iranien de Behtash Sanaeeha et Maryam Moghadam (qui joue aussi le rôle de Mina). Durée : 1h45. Sortie le 27 octobre
PS : en anglais, « Le pardon » s’intitule « The ballad of the white cow”. Inutile de préciser que la traduction en français est moins que littérale. Elle trace pourtant des lignes entre tous les pardons que le scénario pourrait offrir ou demander aux personnages qui le traversent. La version britannique est plus exigeante, allusion à un texte du Coran où Moïse transmet la volonté de Dieu que soit sacrifiée une vache pour trancher un différend entre voisins qui s’accusent mutuellement d’un meurtre. Laissons aux curieux le soin d’explorer internet à ce sujet. Et ils en trouveront une transposition fugace sur le grand écran.
Merci pour cette présentation qui donne envie, sans le « divulgâcher », d’aller découvrir ce film. Dommage et troublant que le titre anglais, au contenu bien plus fort, l’ait pas été simplement traduit. Un merchandising déplacé.
Bonne journée
Pour ceux qui veulent se documenter sur la vie contemporaine à Téhéran, je ne peux que recommander vivement « City of Lies » de Ramita Navai. (Je ne sais pas s’il a été traduit en français). Par sa place sur l’échiquier géopolitique, par notre capcité de compassion, l’Iran est un pays qui devrait nous concerner tous. Alors que son voisin afghan vient de baisser le rideau sur vingt ans de lueurs d’espoir, ce livre bouleversant nous incite à prier pour que des jours meilleurs s’offrent à cette région de malheur.