Et si tu restes seul dans la voiture ne touche à rien

Soit l’une des recommandations formulées en 1958 par la Prévention routière, laquelle s’adressait aux garçons de sept ans. Certains guides sont affectés par une certaine désuétude (c’est ce qui les rend attractifs) et de ce point de vue, celui-là ne fait pas défaut. Car une fois passées les recommandations classiques comme le fait d’attendre le feu rouge pour traverser, tout un chapitre était consacré à la conduite des troupeaux, vaches ou moutons. Cette éventualité de nos jours serait qualifiée de totalement farfelue. Mais voilà, à la fin des années cinquante, une bonne partie de la France était encore rurale et l’on pouvait confier à des jeunes garçons (les filles du moins dans ce manuel étaient exclues) le soin d’emmener les bêtes au pâturage ou de les ramener à la ferme. Y compris le soir tard puisque, était-il écrit, « si la nuit te surprend quand tu mènes un troupeau avec ton camarade, marche en tête avec une lanterne blanche et donnes-en une autre, rouge, à ton camarade, pour qu’il marche derrière le troupeau ».

Ce guide pratique illustré comportait deux parties, l’une on l’a dit pour les garçons de sept ans et l’autre pour les adolescents deux fois plus âgés. Avec le recul, il apparaît la plupart du temps inadapté à la nouvelle donne. Un enfant de sept ans se doit d’affronter aujourd’hui bien plus de dangers qu’à cette époque où chaque rond-point était en outre occupé par un agent de la circulation qu’il valait mieux respecter. Que le feu passe au rouge en 2021 n’est nullement une garantie que l’on va pouvoir traverser une rue en toute quiétude tant sont nombreux les conducteurs d’engins variés qui ne veulent pas ralentir leur course pour si peu. Une rue à sens unique ne l’est que pour les voitures, les trottoirs sont des pistes supplétives pour les « mobilités douces », ce qui signifie pour tout le monde que regarder à gauche puis à droite est insuffisant. Il vaut mieux effectivement avoir une tête comparable à une tourelle de char Leclerc à même de pivoter à 360 degrés et rester constamment aux aguets. L’époque du guide était aux convenances, la civilisation n’était pas un vain mot au point que l’auteur écrivait: « Je comprends que tu aimes les patins à roulettes ou ta trottinette, mais ne les utilise pas n’importe où. » Suivait cette recommandation désormais improbable: « Demande à Maman où tu peux jouer avec. Sur les trottoirs tu peux blesser un piéton et, en quittant un trottoir, tu risques fort de te blesser toi-même. » Et un peu plus loin, à l’adolescent de 14 ans: « Quand tu étais petit, tu n’aimais pas voir un cycliste sur le trottoir, tu avais peur. Aujourd’hui, respecte-donc le trottoir, domaine des piétons, et, pour rentrer chez toi, prends ta bicyclette à la main. » Lequel engin devait au passage comporter une plaque métallique indiquant le nom et le domicile du propriétaire. Il faudrait distribuer ce livret aux usagers en deux roues des bords du Canal de L’Ourcq ou des berges de la Seine. Où leur passer le contenu sur le smartphone qu’ils consultent en pédalant.

« En un mot, concluait le livret, conduis-toi toujours comme tu souhaites que l’on se conduise avec toi. » Cela allait sans dire mais cette morale au demeurant peu contraignante, favorisant l’urbanité générale des rapports humains s’est complètement dissoute dans les fumées de la capitale parisienne. Il faut le préciser car si l’on se déplace dans beaucoup de villes de province, l’amabilité et la prévention à l’égard d’autrui sont restées courantes.

Ce petit ouvrage de quelques pages offre matière à réflexion et éveille l’imagination. Ce serait drôle au moins pour une journée que de conduire un troupeau de vaches ou de moutons à travers Paris, parmi les livreurs, les taxis, les patineurs et autres humains modernes surpris dans leur transhumance quotidienne. Le berger (ou le pâtre) requis pour l’occasion nous donnerait un récital de pipeau dans une ambiance un peu pastorale qui ne pourrait que convenir, au milieu des bêlements, à nos chers édiles soucieux de réinstaller la campagne à Paris.

PHB

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2 réponses à Et si tu restes seul dans la voiture ne touche à rien

  1. Jacques Ibanès dit :

    Délectable!
    Il semblerait qu’à cette époque, la distinction entre liberté et licence avait un sens.
    Cependant, en 1958, 9790 personnes ont perdu la vie dans un accident de la route, contre 2780 en 2020…

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