On a beau savoir que le risque est élevé on s’y laisse toujours prendre. On avait beau eu se dire et même promettre à son conjoint que l’on y ferait juste un tour, qu’au pire on ramènerait une breloque à cinq sous, quelque chose en nous a cédé, un clapet de sécurité s’est ouvert et au lieu du vieil album de Tintin que l’on s’était juré de trouver, nous voilà à tâter mentalement notre portefeuille devant une authentique voiture de manège. L’enfant que nous étions s’est rappelé à notre bon souvenir et c’est seulement parce que l’engin apparaissait comme bien difficile à transporter que l’on a fini par se résigner. Mais l’alerte a été chaude. C’est sur plus de deux hectares que vient de s’ouvrir la cent-unième foire de Chatou et la tentation est partout, sans compter le plaisir facile de s’y promener sans GPS.
Trois cent quatre-vingts exposants venus de France et d’ailleurs ont déployé leurs trouvailles d’époques différentes, du mobilier, de l’argenterie, des bijoux, des éventails, des tableaux, des poupées, des miroirs, il y a là-bas largement de quoi valider l’adage selon lequel il est possible de repartir avec bien autre chose que ce qui était plus ou moins prévu au départ et c’est sans compter les étalages de victuailles fleurant bon le terroir. Il doit bien y avoir quelques âmes fortes qui quitteront la place avec ce qu’elles cherchaient au gramme près sans avoir consommé ne serait-ce qu’un café, mais c’est bien davantage la curiosité qui conditionne le chaland, happé qu’il est par ce foisonnement hors normes.
Cette foire se tient normalement deux fois par an, au printemps et à l’automne, sur l’île des Impressionnistes, sauf accroc épidémique. Son origine est parisienne. Au moyen-âge il était surtout question de produits de salaisons sauf que progressivement les chiffonniers ont agrandi le concept. Jusqu’en 1970 la foire nationale à la brocante et aux jambons occupait le boulevard Richard Lenoir à Paris mais un décret préfectoral l’a finalement déportée à Chatou où certains exposants comme la famille Pipat sont présents depuis plusieurs générations.
Cet éloignement sur les bords de Seine en aval de la capitale, ne fait qu’ajouter au plaisir d’y flâner. La tension parisienne est restée à l’Étoile ou à La Défense et lorsque l’on descend du RER à la gare de Chatou-Croissy, c’est avec l’esprit et le corps subitement allégés que l’on se dirige vers le village de tentes tout proche. Il règne là-bas un esprit bon enfant, un parfum de chine bien différent de la porte Clignancourt ou de Vanves, que le Parisien hume avec délices. S’y mêlent en outre les effluves irrésistibles issus des cuisines diverses où il se prépare des plats de terroir qui nous changent un peu du fooding sans identité. L’impression est que cette foire de Chatou favorise l’esprit de famille y compris entre visiteurs qui ne se connaissent pas. Comme si les gens étaient heureux de se retrouver dans une atmosphère dépourvue de compétition, d’actualité, de campagne présidentielle, de calembredaines genrées, de billevesées intersectionnelles, d’injonctions sectaires.
Ce n’est pas pour rien qu’en 1881, il y a donc cent quarante ans, Pierre-Auguste Renoir avait réalisé ici-même son fameux « Déjeuner des canotiers ». Toile sur laquelle on distinguait en bas à gauche Aline Charigot une jeune modiste qu’il épousera un an plus tard. L’ambiance il est vrai se prêtait facilement au bonheur, à la détente, au flirt, ce que les impressionnistes (puis d’autres) avaient parfaitement saisi. Depuis bien sûr quelques détails sont venus s’immiscer dans nos comportements. Dans le « Déjeuner des canotiers » chaque personnage regarde quelqu’un alors que de nos jours, la consultation maniaque des téléphones perturbe nos échanges rétiniens. C’est égal. Peut-être est-ce une illusion mais à Chatou, parmi ces allées qui portent des noms de rues parisiennes, au milieu des tablées de convives bien décidés à prolonger le plaisir du repas et la vidange opportune de crus variés, les téléphones se font moins visibles. Cette foire a tout d’une échappée, d’un gentil recadrage, d’une paire de parenthèses dont le seul risque serait de ne pas aller y goûter.
PHB
Foire de Chatou: du vendredi 24 septembre au dimanche 3 octobre 2021
Merci pour ce rappel. J’y cours! Comme vous le dites, on y trouve des choses qu’on ne venait pas forcément y chercher, c’est une chasse au trésor. Et je jambon y est délicieux.
Comme vous évoquez la « tension parisienne restée à l’Étoile », je ne résiste pas au plaisir de dire que la tension « christoienne », elle, vaut de s’y arrêter, d’y courir même; de jour comme de nuit c’est vraiment magnifique. Les badauds, les amateurs d’art, les touristes ne s’y trompent pas. Le premier jour, les installateurs distribuaient à la foule des coupons du tissu. J’essaierai d’y être lors du « déballage ».
Bonne journée.
Ca y est, j’y suis allé ce matin. On dit qu’il est préférable d’y aller dès l’ouverture car les meilleurs produits partent vite. Et j’ai craqué, pas pour la voiture de manège (elle y est toujours), mais pour :
– Un album de La Pléiade sur Saint-Exupéry. Les prix sur internet m’avaient refroidi jusqu’ici. Il était au même prix mais le contact avec le livre, et avec le vendeur, m’ont fait succomber. L’ironie du sort est que ces albums étaient offerts gratuitement par Gallimard pour l’achat de trois volumes de La Pléiade. Maintenant certains, suivant la demande et leur rareté, s’arrachent à prix d’or. Le vendeur en avait un pour 650€. Moyennant une ristourne, il a fait un heureux.
– Deux tasses à café, avec soucoupes, éditées par Bernardaud de Limoges, design par Jean Picart le Doux pour équiper les Concorde d’Air France. Là aussi à un prix très raisonnable (25€ la paire quand on en trouve à 80€ l’unité sur internet). Un souvenir du vol Londres-New-York sur cet avion, que j’ai réalisé au siècle dernier grâce à une promotion de British Airways. Avant qu’il ne s’écrase… Souvenirs…
– Un fauteuil Lloyd-Loom. Quésaquo ? Ce sont des fauteuils spécialement conçus pour équiper les ponts des paquebots transatlantiques dans l’entre-deux-guerres. Ils ont l’air en rotin, mais ce sont en fait des fils de fer torsadés, enveloppés de bandes de papier et enduits de divers vernis et peintures pour les rendre résistants aux embruns. Ils sont donc très résistants, et confortables, pour accommoder les passagers ayant besoin d’air frais pendant les longues heures de traversée. J’en avais acheté deux pour une amie à Drouot pour pas cher, la commissaire priseure les ayant décrits comme des fauteuils en rotin. J’en avait vu deux à Chatou il y a plusieurs années pour 400€ la paire. Celui-ci pour 40€. Pour les amateur.e.s, dépêchez-vous d’y aller, le vendeur en avait encore un au même prix. Lui ayant laissé mon acquisition le temps d’aller manger mon jambon aux pâtes alsaciennes, il m’a affirmé que tout le monde voulait le lui racheter. Baratin d’un bon vendeur, mais cela fait toujours du bien.
J’avais un souvenir de prix assez élevés à Chatou. Peut-être est-ce l’absence de touristes qui a poussé les vendeurs à se modérer. J’y ai croisé des asiatiques : l’un avait acheté un sabre de belle facture et s’empressait d’envoyer des photos sur son smartphone pour voir combien il en tirerait at-home. Un jeune couple s’extasiait sur des petits paniers à couvercles… en osier.
Bon, vous l’avez compris, on trouve de tout à Chatou (plus vraiment à la Samaritaine, ré-ouverte il y a peu…), et parfois à des prix très raisonnables. N’ayez pas peur de négocier, un peu.
Bonne visite, et faites-vous plaisir.