Dans le passé, certains énoncés d’exercices arithmétiques, annonçaient le début de la souffrance. Lorsque par exemple un « marchand de vin du Midi » rendait « franco en gare de l’acheteur un fût de vin blanc pour 110 francs ». Sachant était-il écrit encore dans un ouvrage scolaire de 1921, « que le fût vide coûte à ce marchand 5 francs, le transport 8,55 francs, les frais divers 2,45 francs », il fallait en déduire à combien le marchand estimait le vin seul. Avec les diaboliques décimales, l’exécution était laborieuse. Mais c’est avec ce genre d’entraînement proprement élémentaire à l’arithmétique que la France arrivait à dénicher quelques futurs génies des mathématiques. C’est d’ailleurs pour cela que devrait ouvrir sous peu, au cœur du quartier Latin une maison des mathématiques honorant la mémoire de quelques figures du genre, passées et vivantes. L’initiation aux maths rappelle sans doute quelques cauchemars à certains. Ce qui est étonnant dans ce « Nouveau cours d’arithmétique » publié il y a cent ans pile chez Armand Colin (ci-dessus), ce sont bien ces problèmes tordus que les écoliers se devaient de résoudre.
Si l’on se réfère à un petit dictionnaire Larousse de l’époque, la définition d’un problème, juste avant le mot proboscidien, était une « question à résoudre par des procédés scientifiques » ou encore ce qui était « difficile à expliquer ». Depuis le mot s’est évadé des manuels scolaires, il a fait florès et il est assez sidérant de constater à quel point il s’est insinué, dans n’importe quel type de conversation sans qu’il y ait pour autant un calcul mental à effectuer: problèmes politiques, sexuels, digestifs, d’ego etc. L’expression, « c’est quoi ton problème », illustre assez bien l’aspect bon-à-tout faire du vocable en question. Et si cinq cents kilogrammes sont bien égaux à une demi-tonne, on peut également pointer le fait que le « pas de soucis » est bien équivalent au « pas de problèmes » ce qui se comprend en l’occurrence sans chiffres.
Son porte-plume en main, le petit écolier appliqué était donc capable de savoir que 145 (le dividende) divisé par 4 (le diviseur) donnait bien 36,25 (le quotient). L’affaire résolue l’amenait tout droit au certificat d’études. Mais qui va encore s’embêter avec ça un siècle plus tard alors que la calculette d’un téléphone peut en une seconde établir que 54312 divisé par 9 donne 6034,66? Ce qui n’est au passage pas si nouveau, puisque le boulier a fait son apparition bien avant la naissance de Jésus et que cette machine, en plus des quatre opérations, permettait aussi à nos anciens d’extraire une racine carrée, chose encore bien abstraite pour beaucoup mais qui reste à l’origine des algorithmes faisant tourner nos ordinateurs. Ajoutons encore que c’est grâce aux racines carrées que l’on a mis au jour les nombres irrationnels, c’est dire l’aspect hautement toxique de l’accoutumance aux chiffres.
Il n’empêche que calculette ou pas, tableur d’ordinateur ou non, faut-il encore raisonner et répartir les éléments. En 1921 on demandait aux jeunes têtes blondes d’arriver à exprimer des lieues en kilomètres et de trouver le chemin parcouru en moyenne chaque heure par un voiturier n’ayant mis que neuf heures pour franchir 11 lieues un quart. Vous avez trente minutes et la permission de dire « je sèche ». Au fond, rien de tel que la motivation pour arriver au but. Ainsi, à la question « combien vous restera-t-il d’héritage après avoir déduit le pourcentage dû au fisc et réparti l’ensemble avec votre fratrie », tout devrait aller plus vite. Et se dire « qu’en gros », salive aux lèvres, « cela devrait tourner autour de… »
Cependant, le génie humain est ainsi fait qu’à côté des matheux qui ne fonctionnent que craie en main, des générations de malins ont germé, ceux qui naviguent justement à l’estime, à rebours de la trigonométrie, ceux qui pratiquent la technique du doigt mouillé pour quantifier les emmerdements à venir ou simplement évaluer le poids d’un fromage. Quand les ordinateurs sont en panne cela peut toujours servir. Par exemple lorsque les Américains expérimentaient les bombes nucléaires. Il y avait Enrico Fermi, cet ingénieur italien (1901-1954), un peu Prix Nobel sur les bords, à qui ses pairs avaient annoncé un jour pas fait comme les autres, que les ordinateurs étaient en panne et qu’il n’était donc pas possible de calculer l’effet de souffle d’une explosion à venir. Il leur avait rétorqué que c’était quand même faisable. Et avait pour ce faire constitué une sorte de dôme avec du papier journal non loin du site d’expérimentation. En mesurant l’éparpillement desdits papiers, après l’explosion du pétard, il en avait déduit, à peu de choses près, l’effet de souffle recherché. Sans doute avait-il en tête, issu de sa mémoire d’écolier, l’un de ces fameux énoncés qui commençait par « sachant que ».
PHB
Le calcul mental est un sport cérébral en désuétude, dommage car il a l’avantage d’entretenir les méninges.
Outre son travail sur la bombe atomique, Enrico Fermi est aussi célèbre pour son paradoxe : « S’il y avait des civilisations extraterrestres, leurs représentants devraient être déjà chez nous. Où sont-ils donc ? » Il était parti pour cela du constat que le soleil étant une des étoiles les plus jeunes de notre galaxie, des civilisations avaient dû apparaître sur les planètes plus anciennes et laisser des traces, voire des messages ou, encore mieux, des émissaires.
Bonne journée
Stimulant!