Pratiquement contemporaine de Louise Lalanne, la poétesse Myriam Mester est loin d’avoir connu la même célébrité. Le personnage de Louise Lalanne, tous les apollinariens le savent, était une invention de Guillaume Apollinaire, complice en l’occurrence du directeur de la revue Les Marges, d’Eugène Montfort. Sa signature apparaissait en 1909 dans des articles consacrés aux écrivaines célèbres de l’époque (la comtesse de Noailles, Colette, Lucie Delarue-Mardrus) ainsi qu’au bas de quelques poèmes assez gnan-gnan. La supercherie dura une bonne année, avant d’être révélée par le directeur de la revue qui mit fin à son existence littéraire en prétextant que la jeune femme avait été enlevée par un officier de cavalerie. Si ce personnage bénéficie aujourd’hui encore de la célébrité acquise par son Pygmalion, ce n’est pas le cas de Myriam Mester poétesse tout aussi fictive apparue dans le monde des Lettres deux ans plus tard.
Il s’agit cette fois d’une invention de l’homme de lettres Gaston Picard (1). Nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer cette sympathique figure de la littérature (1892-1962), courriériste réputé qui connaissait le tout-Paris des Lettres et qui fut notamment à l’origine du prix Théophraste Renaudot. Le petit opuscule qu’il publia en 1911 aux éditions de L’Heure qui sonne, éphémère revue littéraire dont il était le directeur, était intitulé «Les poèmes idiots». On y trouvait l’intégralité de l’œuvre de cette écrivaine, soit une petite vingtaine de courtes pièces rimées, chacune d’entre elles étant dédicacée à une personnalité de l’époque (parmi lesquelles Willy, André Salmon et Alain-Fournier). Encore convient-il de préciser qu’il s’agit d’une œuvre posthume, la pauvre poétesse, née en 1890, étant décédée à l’âge de 20 ans «d’une maladie banale», ce qui était véritablement un manque de savoir-vivre.
Dans son introduction, Gaston Picard nous apprend encore que cette Myriam Mester, née à Gand, incarnait à elle seule la magnificence de la littérature belge d’expression française : «elle ramassait dans son génie naissant tous les genres des auteurs belges, ses frères». S’ensuivent quelque exemples, aussi peu probants les uns que les autres, de ce prétendu génie.
Gaston Picard n’avait pas vingt ans lorsqu’il s’amusa à cette supercherie qui lui permettait surtout de donner quelques coups de pattes – rarement méchants il est vrai – aux auteurs en vogue. Une façon pour lui de s’introduire dans le milieu et de s’y faire une place. Quant aux poèmes eux mêmes… ils se veulent un peu précieux, parfois sentimentaux, souvent maniérés : «La moussosité du champagne / S’éparpille en flots mordorés / Dans la cristallure vesprée / De la coupe aux reflets d’opale». Mais surtout, pour la plupart d’entre eux, ils sont naïfs et maladroits : «La médiocrité de la forme le dispute à la mièvrerie de l’inspiration» écrit ainsi Jean-Francois Jeandillou, dans son étude sur les supercheries littéraires (Droz, 2001). Ce recueil de poèmes n’est pas autre chose qu’une simple charge, plus amusée que réellement caustique, et d’ailleurs, la dédicace «à la mémoire d’Adoré Floupette» est sans équivoque, puisque l’on sait qu’Adoré Floupette était le pseudonyme collectif utilisé en 1885 pour railler le mouvement symboliste.
L’invention de Gaston Picard ne dépasse guère la simple pochade et se veut d’abord humoristique. Mais il n’y pas plus fragile que l’humour : plus que toute autre activité humaine, il subit les rides du temps. Ces «poèmes idiots» le sont réellement. Et là où Apollinaire, sous le masque de Louise Lalanne, se montrait plutôt bienveillant avec sa créature, Gaston Picard fait de Myriam Mester une véritable cruche.
Le fait d’avoir choisi un personnage féminin n’est peut-être pas aussi innocent. Quelques années plus tôt (1906) dans leur ouvrage sur «La nouvelle littérature», Georges Casella et Ernest Gaubert ironisaient sur le nombre de femmes poètes : « La revanche des Amazones se précipite. Il en vient de partout. Du monde et même du demi et même du nouveau monde (…) Comme la plupart sont jeunes et jolies, parfois titrées, souvent riches, vous devinez les louanges. » Et encore «Chaque jour le nombre de poétesses augmente. La poésie descend à être un sport mondain».
Reconnaissons que, telle que l’avait façonnée Gaston Picard, Myriam Mester, ni titrée ni riche, et par ailleurs disparue dans la fleur de l’âge, n’était guère taillée pour faire avancer la cause des femmes en littérature.
Gérard Goutierre
(1) Sur Gaston Picard : voir Les Soirées de Paris du 31 janvier 2019
C’est bien de nous rappeler cela !
Poèmes idiots, sans doute. Et doublement datés. Datés par l’époque mais aussi sans doute par la jeunesse et l’intention.
De cet aperçu, très intéressant et très agréable (merci M. Goutierre), il m’est venu une résonance personnelle très potache. Comme beaucoup sans doute, encore lycéen, j’écrivais – en cours de math – des poèmes tout aussi idiots et ridicules, simplement pour rire et faire rire quelques amis. L’esprit d’A. Jarry avait ouvert des voies, sans autres prétentions que « faire l’idiot ». Gaston Picard n’avait sans doute pas d’autres ambitions…